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Soudain un choc violent se produisit suivi d’un arrêt brusque ; puis le navire repartit sous l’impulsion de la tempête.

— Nous avons touché, dit le capitaine Renucci : c’est la fin.

Au-dessus d’eux, des cris, des commandements s’entrecroisèrent, et Pierre, escaladant l’escalier, revint prendre sa sœur par la main.

— Vite, Lucienne, dit-il, viens : on embarque dans les canots.

— C’est bien ce que je craignais, ajouta le capitaine, nous avons touché ; une voie d’eau s’est ouverte… il faut abandonner le navire.

Le bâtiment en effet ne bondissait plus sur les vagues comme il le faisait quelques minutes auparavant : déjà surchargé par le poids de l’eau qui entrait dans sa coque, il avait une stabilité inquiétante.

Du fond de la cale, les marins employés à la manœuvre des pompes remontèrent en toute hâte ; tout travail d’épuisement était inutile.

La Stella-Maris allait sombrer.

Sur le pont le spectacle était effrayant ; le capitaine Renucci avait renoncé à se faire obéir de son détachement. Soldats et marins affolés couraient dans tous les sens en criant.

Il n’y avait à bord que trois canots pour une centaine d’hommes, et, hypnotisés par la crainte de la mort imminente, chacun s’y ruait sans écouter les ordres des officiers, sans même attendre que les manœuvres préparatoires au lancement fussent exécutées.

Le plus grand fut bientôt encombré de soldats et d’hommes de l’équipage, gesticulant et vociférant. Mais l’un des palans ayant fonctionné pendant que l’autre restait immobile, on vit l’embarcation déverser à la mer toute une grappe humaine et rester suspendue par l’arrière, pendant que les cris d’horreur des survivants, mêlés aux appels de détresse des malheureux précipités à la mer, dominaient le fracas des flots.

Le second canot, mieux manœuvré, allait toucher l’eau, lorsqu’une vague monstrueuse, le prenant par dessous, le jeta contre la paroi du vaisseau ; quand il réapparut, au milieu de l’écume, la moitié de ses passagers avait disparu.

Restait le troisième, mais une foule enragée s’y entassait déjà.

— Rien à faire, dit le capitaine Renucci qui, au milieu de cet effroyable cataclysme, gardait le calme de l’homme qui a déjà vu la mort de près plus d’une fois.