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Pierre vint rejoindre sa sœur ; il tenait dans ses bras le petit Georgewitz que la tempête avait réveillé : mais, habitué sans doute au vacarme qui ébranlait l’atmosphère par l’instinctif souvenir de cet autre ouragan qu’avait été le bombardement de Sébastopol, le bébé regardait devant lui les yeux grands ouverts et sans pleurer.

— Crois-tu qu’il y ait du danger, Pierre ? demanda Lucienne Bertigny d’un ton calme.

— Je le crois, répondit le jeune homme : j’ai entendu le capitaine donner des ordres qui n’ont rien de rassurant, et, à tout hasard, j’ai apporté la ceinture que ce brave Mahurec m’a donnée au départ : s’il y a naufrage, elle te soutiendra sur l’eau, paraît-il, sans que tu aies d’effort à faire.

Mais Sœur Marie-Agnès secoua doucement la tête :

— Non, dit-elle ; si l’heure est venue, je ne ferai pas un mouvement pour la reculer. Je suis prête depuis longtemps à paraître devant Dieu et la mort ne m’effraye pas : et toi, mon Pierre, es-tu prêt ? Non, n’est-ce pas ?

— Non, fit le jeune homme, mais je sais nager.

— Que te sert de savoir nager si le poids de cet enfant paralyse tes mouvements ? Or il faut le sauver, tu le sais bien…

Cependant Pierre avait développé le paquet qu’il n’avait pas eu la curiosité de regarder depuis le départ, et, à la lueur incessante des éclairs qui transformaient les hublots en lampes électriques, il examina ce que Mahurec avait appelé une ceinture de sauvetage.

Elle ne ressemblait en rien aux appareils qui portent communément ce nom et qui sont tout simplement formés de larges plaques de liège, réunies par des sangles et munies de bretelles : le cadeau du Breton était une sorte de veste sans manches, en treillis, constituée par deux épaisseurs de tissu, piqué et matelassé, entre lesquelles était réparti le liège presque pulvérisé. Ce liège noirci au noir de fumée pour être imperméable et conserver sa légèreté, même après un long séjour dans l’eau, formait une couche uniforme de cinq centimètres environ d’épaisseur, et donnait à ce singulier vêtement l’aspect d’un plastron de maître d’armes, mais d’un plastron d’épaisseur égale par derrière et par devant.

Ce qui en faisait l’originalité et montrait bien dans quel but Mahurec l’avait confectionné, c’est que cet appareil portait à la partie supérieure du dos une espèce de poche, destinée à servir de refuge au petit Georgewitz ;