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Cardignac, Goelder et un chasseur. Encore est-il que ce dernier portait au front une longue estafilade.

Entourés par une bande de Kabyles, ils se défendaient à coups de sabre, à coups de crosse de carabine ; et la résistance de ces trois soldats était vraiment admirable et terriblement rude, car un tas de cadavres d’Arabes formait autour d’eux un rempart.

L’arrivée du renfort amené par le commandant jeta un instant le désarroi parmi les assaillants ; on put recueillir les trois braves. Mais, après une courte panique, les bandes arabes, un moment rompues, se ressoudèrent et reprirent l’offensive, et, comme ils avaient pour eux le nombre, l’héroïque phalange des naufragés de l’Aventure dut rétrograder vers les canots.

Ce fut une retraite terrible, car on eut rapidement épuisé les munitions. Serrés en un petit groupe compact, on se défendait maintenant à l’arme blanche, au sabre ou à la hache d’abordage.

Tant qu’on fut au milieu des bouquets d’arbres, on pouvait résister encore ; mais, en atteignant la plage, terrain découvert et en contre-bas, la lutte devint par trop inégale.

Alors, au milieu des rauques clameurs des Kabyles et des coups de pistolet des assaillants, M. d’Assigny, qui avait conservé un calme étonnant, prit une résolution définitive.

— Allons ! dit-il, l’honneur est sauf, tâchons de sauver au moins une partie des nôtres !

Puis, après un silence :

— Lieutenant Cardignac, rassemblez ce qui vous reste de chasseurs ; de Nessy, prenez vingt de vos hommes et gagnez rapidement les canots… embarquez et prenez le large !

— Jamais ! commandant !

Ces mots furent lancés d’une voix terrible, par le jeune sous-lieutenant de chasseurs.

Sans coiffure, les vêtements déchirés, les traits convulsés par l’énergie déployée dans cette lutte atroce, Henri Cardignac était véritablement beau, d’une beauté sauvage.

Les yeux brillaient, ardents, dans son visage noirci de poudre ; son sabre, qu’il maniait avec fureur, était rouge jusqu’à la garde, son gant à crispin