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CHAPITRE XV

poignée d’aventures


La douleur de Pierre fut inexprimable.

Jusqu’à ce jour, il avait vécu avec l’insouciance de son heureuse nature, redressé à temps par la dure épreuve qui avait marqué son départ pour la Crimée, mais confirmé par cette épreuve même dans l’idée qu’il avait auprès de lui un tuteur puissant, qu’il n’avait qu’à se laisser grandir à ses côtés, et que l’homme qui lui avait jadis sauvé la vie saurait orienter cette vie au mieux de son avenir.

Et voilà que, subitement, cet homme disparaissait.

Le chêne puissant à l’ombre duquel il avait espéré, humble roseau, se mettre à l’abri des orages, gisait à terre foudroyé, et l’orphelin se retrouvait seul au monde, envisageant sa solitude avec effroi, et n’ayant pas, comme sa sœur, la foi qui tient lieu de tout à certaines âmes d’élite.

On ne pouvait comparer l’affectueux intérêt que lui portait Jean Cardignac, le chef d’escadron d’artillerie, à l’attachement presque paternel qui le liait au commandant de chasseurs d’Afrique.

Ce dernier avait reporté sur Pierre tout ce que son cœur contenait de tendresse comprimée et il aimait de plus le jeune sous-officier comme l’artiste aime l’œuvre qu’il a tirée du néant. Jean Cardignac, d’ailleurs, avait une famille, un enfant qui grandissait ; et Pierre Bertigny ne pouvait espérer retrouver à son foyer le cœur aimant et dévoué qui venait de cesser de battre.

Un vide immense venait donc de se creuser en lui et les premières heures