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angoisse impossible à décrire, avait subi ce martyre de sentir son frère agoniser non loin de lui sans pouvoir aller l’embrasser.

La vie militaire est pleine de ces sacrifices-là !

À l’arrivée à l’ambulance, Henri Cardignac fut étendu sur un lit de sangles : le chirurgien examina la blessure et hocha la tête, le poumon gauche était perforé.

— Les heures sont comptées, dit-il à voix basse au lieutenant Vautrain qui, plein d’anxiété, attendait le résultat de son examen.

Si bas qu’il eût parlé, Henri l’avait entendu et compris : il ouvrit les yeux, serra la main de son lieutenant et celle du colonel Pajol qui venait d’arriver et regarda autour de lui.

— Pierrot, dit-il faiblement.

— Il est parti en courant et a dit qu’il allait revenir, mon commandant, dit Vautrain.

Une lueur brilla dans le regard de Henri Cardignac. Il demanda encore :

— Est-ce que Malakoff est à nous ?

On lui répondit affirmativement ; puis il s’informa de la blessure du général Bosquet.

Quand on lui eut affirmé qu’elle n’était pas mortelle :

— Tout est bien, dit-il avec effort.

Et plus lentement encore il ajouta :

— Mourir à l’ennemi… un jour de victoire !… J’avais… j’avais toujours rêvé cela !

Il tomba dans une torpeur de quelques instants, puis, comme réveillé en sursaut :

— L’aumônier, dit-il… je vaudrais le voir !…

On y avait déjà pensé et l’abbé Lanusse, le digne prêtre qui devait plus tard être aumônier de Saint-Cyr, s’enferma quelques instants avec le mourant.

Quand il sortit, Henri Cardignac semblait avoir repris des forces ; il avait tourné la tête vers la porte comme s’il eût concentré dans l’attente qui allumait son regard sa dernière flambée de vie.

Soudain un flot de sang jaillit à ses joues couleur de cire.

La porte de la baraque venait de s’ouvrir et une sœur de Saint-Vincent-de-Paul entrait sans bruit. Pierre la suivait.