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minait, jusqu’aux confins de l’horizon, les montagnes et la mer. Atteint par une bombe, un grand transport russe brûlait comme un fanal énorme.

Dans la ville, quatorze maisons seulement restaient debout, et, muet devant cet ouragan de fonte qui s’abattait sur la malheureuse cité, Henri Cardignac pensa au petit enfant de Fédor Méhilof, dormant là-bas dans les bras de sa mère effarée.

Pierre l’avait accompagné comme toujours.

— Retrouverais-tu la petite maison ? lui demanda le commandant.

Et leurs cœurs s’étaient compris, car Pierre répondit :

— J’irais les yeux fermés, mon commandant : je la vois encore, au bord de la baie, près d’une grande caserne, dans la verdure…

— Il faudra penser à y aller de suite… Pauvres gens !

— J’y penserai, mon commandant ; comptez sur moi.

— Onze heures cinquante-six ! fit le général Bosquet, tirant sa montre. Encore quatre minutes !

Près de lui, la batterie et la musique du 1er  zouaves attendaient : les tambours, la baguette en l’air ; les clairons, l’instrument près des havres. À l’abri derrière le rideau de fumée des canons, les régiments étaient venus prendre leurs postes, et les tranchées étaient bondées d’hommes silencieux, affermissant leurs baïonnettes, car c’était cette arme bien française qui allait jouer la partie suprême.


Midi !

La charge sonne, vibrante, s"épand comme une traînée de poudre tout le long des tranchées et enlève les hommes dans un élan frénétique.

Amenés par les derniers travaux à vingt-cinq mètres seulement de Malakoff, les zouaves du 1er  régiment, colonel Collineau en tête, ont d’un bond franchi la distance. Ils n’ont besoin ni de ponts volants ni d’échelles, car le fossé est à demi comblé par les débris de la Tour : le talus est gravi. Les Russes qui depuis trois jours attendent en vain l’attaque, sont surpris dans leurs abris sous-traverses.

Les artilleurs seuls sont sur le rempart : ils se défendent avec leurs écouvillons, leurs leviers de pointage et tout ce qui leur tombe sous la main ; mais ils sont tués sur leurs pièces.

Le 7e de ligne vient renforcer les zouaves. Le saillant de Malakoff est