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La nuit tombait ; deux kilomètres furent rapidement franchis ; les Russes marchaient vite et n’avaient laissé derrière eux ni un homme valide ni un attelage.

Il était environ sept heures et Henri Cardignac allait donner le signal du retour, lorsque les éclaireurs signalèrent trois voitures qui, avec quelques cavaliers d’escorte, essayaient, par un chemin de traverse, de rejoindre l’avant-garde russe ; chasseurs et canonniers coururent aussitôt sur elles ; quelques coups de pistolet furent échangés avec l’escorte qui, aussitôt entourée, se rendit, à l’exception d’un vieux garde qui occupait le siège d’une des voitures et qu’il fallut tuer sur place.

En faisant l’inventaire de la prise, on eut l’explication de l’acharnement qu’avait mis le malheureux vétéran à défendre les fourgons dont il avait la conduite.

Ces fourgons, en effet, étaient ceux du général en chef, le prince Mentchikoff. Ils étaient remplis de papiers et de provisions de bouche ; dans l’un d’eux, on trouva, ahuris, consternés, les deux cuisiniers du prince, en livrée vert et or. Déjà quelques canonniers s’emparaient des bouteilles cachetées, trouvées dans un vaste panier. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que, depuis le matin, les hommes avaient le ventre vide. Mais le commandant Cardignac intervint.

— Une minute, dit-il. Pas de pillage et partage de frères ; d’abord, tous les papiers vont de droit à l’état-major ; je les ferai porter au Maréchal ce soir ; quant aux provisions, elles appartiennent aux capteurs : deux voitures aux canonniers, une aux chasseurs d’Afrique.

Et, triomphalement, la petite troupe rentra au camp avec son fourgon, au moment même où Vautrain, qui avait fait dresser les tentes et préparé le bivouac, venait, tout navré, rendre compte au commandant qu’il n’y avait pas de distribution ce soir-là, et que les hommes devraient se contenter des vivres de réserve.

Dans ces conditions, on devine avec quelle joie furent accueillies les excellentes choses que contenait la voiture ; il y avait là de quoi héberger tout un état-major pendant huit jours.

— Il se met bien, le prince Machinskoff, dirent les chasseurs, en s’asseyant en cercle autour d’un immense feu de bivouac, pendant que le cuisinier Brocard, très affairé, s’escrimait pour transformer, en portions raison-