Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Compris, mon cher Vautrain ; j’étais, et nous étions tous, je vous l’avoue, rudement inquiets. Vous voilà, tout est oublié… Mais, dites-moi, on dirait que votre peloton a augmenté en route ?

Oui, je crois que quelques hommes de Sauterotte n’ont pu le retrouver et se sont ralliés à moi.

Un sourire erra sur les lèvres du commandant Cardignac.

— Faites l’appel, ordonna-t-il.

Et l’on vit plus de la moitié des chasseurs que ramenait le lieutenant Vautrain quitter le rang pour aller se placer derrière le lieutenant de Sauterotte, leur officier de peloton.

Je vous laisse à penser, mes enfants, quelle figure déconfite faisait ce dernier.

Il n’était pas content. Mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui de la mortifiante aventure qui lui arrivait et de la leçon sans réplique que lui infligeaient les événements.

Le soldat français aime qui l’aime, et, dans le danger, il suit aveuglément le chef auquel il s’attache.

Comme le lieutenant Vautrain était adoré, non seulement dans son peloton, mais encore dans tout l’escadron, c’est vers lui que tous les cavaliers avaient couru d’instinct pour se rallier, lorsque, après avoir traversé la charge russe, ils avaient senti qu’ils étaient dans une situation périlleuse.

Et ils avaient laissé en plan l’homme de cheval, celui qui déclarait tranquillement que le cavalier n’est qu’une brute.

Je dois ajouter, pour être juste, mes enfants, que ce type de chef a presque disparu aujourd’hui, car tous les Français passent par l’armée, et n’y font plus que trois ans au lieu de sept ; les officiers ont donc compris que certains procédés, peut-être admissibles jadis avec des soldats de carrière, ne sont plus de mise actuellement avec la nation tout entière.

Le dépit était tellement visible sur la figure du lieutenant de Sauterotte, que le commandant Cardignac n’eut pas la cruauté d’insister ; il se borna à adresser au lieutenant Vautrain ses plus chaleureuses félicitations.

Il convient de reconnaître d’ailleurs que l’homme de cheval profita de cette leçon : pendant quelques jours, il eut bien quelques accès de mauvaise humeur à l’adresse des hommes qui l’avaient si délibérément « lâché »,