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Mais les graves événements d’Europe empêchèrent le grand homme de réaliser son projet.

Ne vous étonnez donc pas, mes enfants, que les Deys-d’Alger, orgueilleux et féroces, se croyant invulnérables, sûrs de l’impunité et défiant tout effort de l’Europe, aient continué, en plein xixe siècle, à porter une atteinte permanente au commerce maritime des nations civilisées.

En fait, leur arrogance avait atteint son comble en 1829 : le Dey Hussein avait insulté notre Consul, M. Deval, en le frappant, pendant une audience diplomatique, d’un coup de son chasse-mouches.

Puis une frégate française, la Provence, envoyée par nous en parlementaire, pour demander réparation, avait été reçue dans le port d’Alger à coups de canon.

Le pavillon national était insulté : le gouvernement français se fâcha pour tout de bon.

Immédiatement une flotte fut envoyée pour bloquer Alger ; en même temps, on préparait l’expédition décisive dans laquelle notre ami, le sous-lieutenant Cardignac, commençait, vous l’avez vu, à jouer son rôle en faisant ses premières armes.

Depuis Waterloo, depuis la chute définitive de Napoléon, survenue quinze ans auparavant, jamais l’armée française n’avait ressenti fièvre pareille. Le père de notre ami Henri, Jean Cardignac, ancien colonel du 1er  grenadiers de la Garde impériale, éprouva lui-même une émotion profonde en constatant que l’armée sortait de sa longue torpeur. Son visage, soucieux d’ordinaire, reprit un air de gaieté en apprenant la nouvelle des armements.

Jamais en effet le colonel Cardignac n’avait pardonné au régime que la France, fatiguée par vingt-deux ans de guerre continue, avait été obligée d’accepter.

Après le départ de son héros pour Sainte-Hélène, il s’était farouchement isolé dans sa petite maison de Saint-Cyr.

Il avait été jusqu’à refuser de faire liquider sa pension de retraite :

— Je ne veux pas de leur argent ! s’était-il écrié.

Personne de son entourage, pas plus sa femme que ses beaux-parents, n’avaient essayé de le faire revenir sur sa décision.

L’unique distraction du colonel Cardignac était d’aller voir manœuvrer les soldats. Rien que dans ce but, il faisait souvent le trajet de Saint-Cyr à