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entière se disloqua ; les cavaliers débandés s’enfuirent dans toutes les directions ; quelques-uns affolés, poursuivant la charge quand même, arrivèrent sur la falaise, et firent dans le vide un saut prodigieux.

D’où était venu le salut ?

Vous l’avez déjà deviné, mes enfants : il venait des vaisseaux : nos marins apportaient à leurs frères de l’armée de terre, en une circonstance critique entre toutes, leur appui aussi efficace que décisif.

Les flottes alliées avaient marché en effet à hauteur de l’armée, et maintenant la débordaient. La profondeur de la mer, sur cette partie du rivage de la Crimée, leur avait permis de se rapprocher à huit cents mètres de terre. Sur l’ordre de l’amiral Hamelin, la Ville de Paris, le Primauguet, le Caradoc et l’Agamemnon avaient ouvert un feu d’une précision terrible, pendant que des bâtiments légers à vapeur, tels que le Roland, le Cacique, le Lavoisier et le Canada, descendus plus au sud, prenaient maintenant les troupes russes d’enfilade.

Cependant les chasseurs d’Afrique galopaient toujours, les deux pelotons bien unis, les deux lieutenants en tête, le commandant Cardignac en avant d’eux ; car, malgré leur petit nombre, ils avaient maintenant une mission tout indiquée, celle de tomber sur les escadrons décimés, qui allaient devenir pour eux une véritable proie.

Il arrive souvent qu’à la guerre, et en particulier dans les luttes de cavalerie contre cavalerie, le choc d’une faible unité, d’un simple escadron contre toute une brigade, d’un peloton contre tout un régiment, parvient à désunir une charge, si ce choc se produit opportunément sur le flanc ou sur les derrières de la troupe assaillante.

Aussi l’apparition des deux pelotons de Henri Cardignac sur le flanc des cosaques en désordre, acheva-t-elle l’œuvre des canons, et, comme un vol d’oiseaux effarouchés, les sauvages cavaliers tournèrent bride.

Le commandant se dressa sur ses étriers, brandit son sabre et éperonna son cheval.

— Par ici, les enfants !

Et la petite troupe, bondissant sur ses traces, pénétra comme un coin dans la troupe des fuyards et se mit à sabrer.

Bientôt dans cette poursuite ardente, les rangs des chasseurs d’Afrique se désunirent à leur tour : chaque cavalier, se choisissant un adversaire,