Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comment les Russes avaient-ils pu laisser ainsi dégarnir la gauche de leur ligne de bataille ?

Deux raisons majeures répondaient à cette question :

D’abord, de nombreux vaisseaux de guerre, armés de canons puissants, flanquaient la droite de l’armée française et auraient rendu les alentours du rivage intenables pour les Russes. Ensuite, les escarpements de l’autre côté de la rivière étaient infranchissables.

Du moins, ils paraissaient tels.

Une véritable muraille semblait se dresser sur la rive gauche de l’Alma, et la bordait jusqu’à son embouchure pour se prolonger au nord, le long du rivage, par une falaise à pic. Elle était crevassée de quelques ravins et piquée de maigres arbrisseaux.

Pierre et Delnoue, éclaireurs de droite, étaient arrivés au bord de la rivière, et le premier, éperonnant son cheval, le lança résolument dans l’Alma.

Mais il avait mal choisi son endroit, car à peine eut-il fait quelques mètres que l’eau, devenant profonde, le cheval perdit pied, et il se serait infailliblement noyé sous le poids du lourd harnachement qui l’empêchait de nager, si son cavalier n’avait sauté à l’eau. Déjà Delnoue en avait fait autant, et, tendant la main à son ami, l’aidait à regagner le bord avec sa monture.

— Vous êtes des imprudents, les enfants, leur cria le lieutenant Vautrain qui arrivait : il faut toujours sonder une rivière avant d’essayer de passer… voyez plutôt.

Et il leur montra les éclaireurs du 2e zouaves qui, un peu plus haut, s’aidaient de branches de saule pour connaître la profondeur de l’eau. Quelques-uns laissaient leurs sacs et leurs cartouches sur le bord et, soutenant leurs, fusils d’une main au-dessus de leurs têtes, se mettaient à la nage, prenaient pied au milieu du courant et indiquaient à leurs camarades la direction à suivre.

Quelques instants après, les premiers de ces hardis éclaireurs abordaient sur l’autre rive ; puis, un gué ayant été trouvé à une centaine de mètres en amont, des sections, des compagnies, des bataillons entiers se mirent à passer.

Déjà le peloton du lieutenant Vautrain était arrivé au pied de la pente…