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ils n’ont pas voulu et ils « claquent du bec » avec des troupeaux sur pied et des provisions de toutes sortes.

Étrangers à la conversation, les Anglais dévoraient maintenant à belles dents — belles n’est pas pris ici dans son sens propre — la portion de mouton que le cuisinier avait généreusement prélevée sur l’ordinaire du peloton : puis ils firent disparaître prestement le riz et les haricots secs qui en formaient la garniture, dégustèrent, les yeux fermés, le moka odorant qu’on leur servit dans un quart de fer-blanc, puis, voyant qu’on ne leur offrait plus rien, ils se levèrent :

— Moâ, dit le lancier s’avançant vers le brigadier Delnoue, moâ, Edward Brown,… Lord Cardigan-Brigade.

— Moâ, fit le highlander, John Hicks,… Campbell-Brigade.

C’était la présentation de rigueur et tout en se disant que, puisqu’elle était obligatoire, ils auraient bien pu commencer par là, Delnoue y répondit sérieusement en présentant Pierre et le cuisinier Brocard.

Après quoi, les deux insulaires tournèrent sur les talons et partirent d’un pas automatique dans la direction de leur campement.

Le commandement de : « À cheval » jeté par le lieutenant Vautrain, coupa court aux réflexions plaisantes qui accompagnaient leur départ.


Il était cinq heures.

Dans un conseil de guerre tenu la veille, les généraux en chef des armées alliées avaient décidé que les colonnes d’attaque se mettraient en marche à sept heures et demie, précédées par la division Bosquet, laquelle prendrait deux heures d’avance.

Or, l’escadron du commandant Cardignac devait lui-même éclairer la marche de cette division : il devait donc la précéder d’une demi-heure au moins.

Il n’attendait plus pour partir que l’ordre de son commandant, lorsque ce dernier arriva de fort mauvaise humeur.

— Les bivouacs anglais ne sont pas encore levés, dit-il : la moitié de leurs soldats dort encore, ils ne seront jamais prêts.

Et de fait, à sept heures, un officier d’État-Major arriva près du général Bosquet, et, de la part du Maréchal Saint-Arnaud, lui donna l’ordre de suspendre sa marche pour attendre les Anglais.