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Pendant ce temps, Henri Cardignac plaçait ses sentinelles de manière à prévenir toute attaque, et constituait une grand’garde prête à tout avec le reste de ses chasseurs.

C’est que, mes enfants, le cri de délivrance, poussé par tous ces hommes en touchant le rivage, s’adaptait bien mal à la situation. Sauvés, ils ne l’étaient pas encore.

Si la Providence les avait arrachés à la « grande mangeuse d’hommes », la mer, il n’était point encore écrit qu’ils échapperaient au terrible yatagan des Arabes.

En effet, c’est en ce mois de mai 1830 que le gouvernement du roi Charles x avait décidé l’expédition qui marque pour la France le début de la conquête d’une de nos plus belles colonies : l’Algérie.

Il faut vous dire, mes enfants, que l’Algérie d’alors, vassale du Sultan-de Constantinople, avait pour gouverneur un Turc de Smyrne, nommé Hussein, ancien officier d’artillerie du Sultan.

En tant que gouverneur de l’Algérie, Hussein portait le titre de Dey d’Alger.

Il résidait à Alger même, dans la Kasbah, château fort qui dominait la ville de la menace de ses canons.

Et si vous vous étonnez, mes enfants, qu’un monarque soit obligé d’imposer le respect à ses sujets par la prépondérance des armes, je vous dirai qu’à cette époque, et cela depuis trois cents ans, Les-Deys d’Alger régnaient sur le pays, moins par le sentiment de la justice ou par l’affection qu’un chef de nation, doit inspirer à ses peuples, que par la terreur.

Une garde particulière, sorte d’aristocratie militaire, composée d’éléments turcs, et désignée sous le nom de « Janissaires », veillait constamment sur le Dey. Elle constituait pour lui une force, prête, à réduire ses sujets à l’obéissance par tous les moyens, même les plus cruels.

C’est vous dire que ni le Dey ni ses janissaires n’étaient aimés des populations arabes, kabyles et autres qu’ils pressuraient. Ce gouvernement bizarre n’avait, vous le voyez, rien de commun avec les gouvernements civilisés. Bien mieux, les fameux janissaires se trouvaient être les maîtres réels du Dey, puisque ce dernier ne pouvait gouverner qu’avec leur appui. Aussi ne se faisaient-ils pas faute de le changer selon leur fantaisie ou leur intérêt : il n’était pas rare qu’un Dey disparût subitement, empoisonné ou