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un cœur généreux, la douceur de se sentir aimé, jointe à la satisfaction de consoler une âme meurtrie.

— Lucienne est-elle au courant ? demanda Henri, car c’était la pensée qui lui était venue tout d’abord.

— Non, mon commandant ; car elle aurait cherché à me voir, certainement.

— Est-elle toujours rue du Bac ?

— Je ne le crois pas : la dernière fois que je l’ai vue, en décembre, elle parlait de son prochain départ au loin.

— Hors de France ?

— Je le crois ; mais la supérieure ne devait lui apprendre qu’au dernier moment le nom du pays où elle serait envoyée et je n’ai reçu aucune lettre d’elle.

— Il vaut mieux qu’elle ignore à jamais ce qui t’arrive, dit l’officier : et maintenant raconte-moi tout ; ne me cache rien afin que je puisse te défendre demain en connaissance de cause.

Et, s’asseyant dans l’étroite cellule auprès du malheureux enfant que le souvenir de Lucienne lui rendait encore plus cher, il reçut sa confession.


Le lendemain, grand fut l’étonnement de tous ceux qui étaient venus assister à la séance du Conseil de guerre en voyant le commandant Cardignac s’asseoir au banc de la défense.

Et tous ses camarades du 9e, son colonel en tête, vinrent lui serrer silencieusement la main.

La sympathie de l’auditoire s’accrut encore lorsqu’on apprit qu’il avait renoncé à son tour d’embarquement et à ses chances d’avancement, pendant la campagne qui allait s’ouvrir, pour défendre l’enfant sauvé jadis par lui au siège de Constantine.


Les commandements de « Portez arme ! Présentez arme ! » retentirent : la garde assemblée se figea dans l’immobilité des grands jours : un silence solennel succéda aux conversations, et les membres du Conseil de guerre firent leur entrée en grande tenue.

Ils étaient sept : le colonel Michel, président ; un chef d’escadrons, deux capitaines, un lieutenant, un sous-lieutenant et un sous-officier.