Que l’ambition des Russes gêne la Grande-Bretagne qui craint toujours de se voir supplantée dans la Méditerranée et qui veut maintenir libre la route de l’Inde, je le comprends ; mais pourquoi aller faire le jeu de ces égoïstes d’Anglais contre ces braves Russes, qui ont joliment raison de poursuivre l’exécution du testament de Pierre le Grand ?
— Le testament de Pierre le Grand ? répéta Bertigny, interrogateur.
— Paresseux que tu es, fit le commandant en riant ; si tu avais « pompé » jadis ton histoire, tu saurais que ce Tsar russe, le plus grand de la dynastie des Romanoff, a donné comme objectif essentiel à ses descendants la prise de Constantinople… Et sois tranquille, un jour ou l’autre, avec nous ou contre nous, les volontés du grand testateur seront exécutées !… Mais tu me fais bavarder au moment où je suis dans le coup de feu de mes visites d’adieu… à bientôt donc, mon Pierrot, et courage !…
Henri Cardignac ne s’était pas trompé. La guerre menaçante entre le Tsar Nicolas et la Turquie allait amener la France et l’Angleterre à intervenir.
Déjà d’ailleurs Russie et Turquie étaient aux prises : l’armée russe du prince Gortchakof avait envahi ce qu’on appelait alors les Principautés, c’est-à-dire la Moldavie et la Valachie, réunies aujourd’hui sous le nom de royaume de Roumanie, avec Bucharest comme capitale.
Les flottes françaises et anglaises avaient répondu à cette agression en allant occuper le mouillage de Beikos, au débouché du Bosphore dans la mer Noire.
Puis, le 30 novembre 1853, la flotte russe détruisait la flotte turque à Sinope ; le 4 février de l’année suivante, la guerre était déclarée à la Russie par la France et l’Angleterre, et le Maréchal de Saint-Arnaud, cédant le portefeuille de la guerre au Maréchal Vaillant, allait prendre le commandement des premières troupes, jetées à la hâte sur le territoire turc, pour arrêter la marche de Gortchakof.
En toute hâte, deux divisions étaient constituées sous les ordres du général Canrobert et du général Bosquet : deux autres allaient suivre. Le général Morris commandait la division de cavalerie qui devait comprendre des dragons, des cuirassiers et des chasseurs d’Afrique : ces derniers étaient sous les ordres du général d’Allonville qui désignait trois escadrons pour être embarqués de suite, et, parmi eux, l’un des deux escadrons de Henri Cardignac :