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CHAPITRE XII

devant le conseil de guerre


L’entrée de Lucienne en religion avait rempli d’une mélancolique amertume le cœur de Henri Cardignac. Il essaya de lutter contre l’obsédante vision, mais le calme de la vie de garnison et le terre à terre du service journalier en France ne pouvaient apporter à cette âme ardente la diversion nécessaire. Il eût fallu, pour qu’il oubliât le rêve entrevu, les chevauchées et les rudes émotions des premières années de la conquête algérienne ; et soudain, la nostalgie le reprit de ce merveilleux pays d’Afrique où l’air est toujours pur, le ciel toujours bleu et où les horizons, démesurément reculés, emportent l’âme dans des rêveries pleines de douceur.

« Pierre qui roule n’amasse pas mousse », dit le proverbe : or, il semble bien que, dans la vie militaire, le proverbe mente, car ce sont les officiers qui roulent le plus, du Soudan au Tonkin et du Dahomey à Madagascar, qui amassent le plus d’avancement, de campagnes et d’expérience. Henri, plus fait pour la vie nomade que pour la vie de famille, résolut donc de retourner en Algérie.

Son protégé, Pierre Bertigny, malgré quelques escapades au 9e cuirassiers, avait été nommé brigadier deux ans après son engagement. On n’arrivait pas alors à ce grade aussi vite qu’aujourd’hui, où huit à dix mois suffisent le plus souvent à qui veut travailler et se bien conduire.

Il était maintenant dans sa quatrième année de service et proposé pour maréchal des logis ; c’était un garçon superbe, à la figure résolue, aux traits