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Bien qu’ayant fortement négligé ses études, il n’était pas absolument nul, grâce à son intelligence très vive.

— Ma foi ! se dit-il, tant pis ! Si je rate mes examens, je m’engagerai… J’arriverai aussi bien à l’épaulette, et je ne serai pas le premier qui sortira du rang.

Je ne saurais trop réprouver ce raisonnement, mes enfants, et pour deux causes : premièrement, prévoir un échec, c’est courir au devant. On n’arrive à rien sans travail, ni sans ténacité dans le travail, et, en s’en remettant à la destinée du soin de le faire entrer à Saint-Cyr, Pierrot se donnait tout simplement à lui-même la faculté de ne rien faire.

En second lieu, il reconnaissait ainsi bien mal les soins dont ses bienfaiteurs l’avaient entouré. Combien d’enfants, arrivés à l’âge d’homme, se disent au contraire :

« Oh ! si j’avais pu suivre des cours supérieurs, si j’avais eu le bonheur d’avoir une bourse dans un lycée, comme j’aurais bien travaillé pour me créer une situation ! »

Pierre au contraire n’utilisait pas les facilités qu’on lui donnait.

Il est vrai qu’on arrive aussi à l’épaulette en sortant du rang, et les officiers qui ont cette origine peuvent parvenir aux plus hauts grades. (On en connaît, en effet, de beaux et nombreux exemples.) Mais cette filière est. naturellement longue, si les chances de guerre ne l’abrègent pas ; en outre, on est obligé, quand même, d’acquérir par la suite ; — et avec plus de peine — les connaissances qu’on aurait eues en passant par Saint-Cyr. C’est donc un retard sans profit. Quoi qu’il en soit, Pierre était buté à cette idée fausse.

Sa seule excuse est qu’au cours des dernières années écoulées, les récits des militaires étaient remplis par les succès de la campagne d’Algérie.

Les prouesses des chasseurs d’Afrique, pendant cette période de définitive conquête ; étaient chantées par tous.

Tout ce qui était soldat rêvait de Mazagran, de la Mouzaia, de charges épiques, de colonnes terribles dans le Sud.

La prise de la Smala d’Abd-el-Kader surtout (1843), grande ville ambulante qu’on pouvait considérer comme la capitale de l’empire arabe, avait excité en France un ardent enthousiasme et révélé au monde le nom du duc d’Aumale, qui vient de mourir, il y a peu de temps, laissant la mémoire la plus pure et la plus respectée. Puis ce fut la bataille de Isly, gagnée