Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il devait, malheureusement, continuer ainsi pendant tout le cours de ses études.

À l’approche des vacances, il prenait son courage à deux mains et finissait par gagner son épaulette d’élite. De la sorte il pouvait aller en congé à Tours et à Paris pour embrasser ses amis et sa sœur Lucienne. Mais, dès la rentrée, il se reprenait à rêvasser pendant les études et les classes, se battait de temps en temps pour n’en pas perdre l’habitude, et, par suite, encaissait des jours d’arrêts. Ces jours-là surtout lui paraissaient interminables, car c’était pour lui l’inaction, c’est-à-dire la privation de gymnastique et d’escrime, où il excellait.

Par exemple, il était étonnamment doué pour le dessin. À quatorze ans, il avait dans cette branche un très réel talent, non point acquis par l’étude, mais tout instinctif ; et son ce Potasse » était célèbre parmi ses camarades.

Vous ne savez pas, mes enfants, ce que c’est qu’un « Potasse de Brution » ?

On me l’a expliqué et je vais vous le dire :

C’est un cahier où chaque élève note, au jour le jour, ses pensées, un fait intéressant, une chose drôle, une pièce de vers qui l’a impressionné ; le tout orné de dessins et de caricatures, plus ou moins remarquables, selon le talent du propriétaire. Le Brution nomme ce mémento un « Potasse », parce que la couverture porte uniformément cette rubrique :

« S + KO. »

C’est la devise du Brution, empruntée à la chimie, ainsi que vos professeurs vous l’apprendront, et qui signifie : « Soufre et Potasse. »

« Souffrir et travailler », la devise n’est pas laide et assez bien trouvée dans l’à-peu-près de ses deux mots, potasser signifiant, dans le langage écolier : travailler.

Le « Potasse » de Pierrot était donc remarquable : il y avait, comme page de début, une caricature du Général commandant tout à fait réussie, et qui avait fait bien rire le brave et digne officier lui-même.

Car Pierrot ne se contentait pas de dessiner sur son « Potasse ». Les tableaux noirs des salles d’école formaient pour lui un salon d’exposition toujours ouvert ; et c’est ainsi qu’un jour, le Général s’était trouvé nez à nez avec son propre portrait, dessiné à la craie. Derrière le Général, le lieutenant-colonel, commandant en second, avait pincé les lèvres à la vue du