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— J’y avais déjà pensé, ma bonne chère maman.

— Et je crois savoir, ajouta tout bas l’excellente femme, que mon Jean ne déplaît pas à Valentine.

C’est ainsi que les fiançailles des deux jeunes gens furent décidées.

Mais Lise n’eut pas, hélas ! le temps devoir son désir réalisé : elle ne put qu’emporter dans la tombe l’assurance qu’il le serait après elle.

En effet, trois mois plus tard, en juillet 1841, le mariage avait lieu, dans la plus stricte intimité.

Ainsi l’arbre représentatif de la Famille de Soldats dont je vous raconte l’histoire, avait perdu ses rameaux les plus anciens avec Belle-Rose[1], Catherine, Jacques Bailly, Jean Tapin et Lison !… Mais du tronc toujours vigoureux jaillissaient deux rameaux pleins de vigueur, Henri et Jean Cardignac ; et à son ombre, nourrie de ses racines, une jeune pousse sortait du sol, en la personne de Pierre Bertigny, dit Pierrot.

Après son mariage, Jean Cardignac quitta définitivement la petite maison de Saint-Cyr et vint habiter à Paris, rue Bellechasse. Ses travaux et son service l’exigeaient ; ce fut dans sa demeure que Lucienne Bertigny retrouva l’intérieur que la mort de Lise lui enlevait.

Elle ne devait pas d’ailleurs y rester longtemps. Elle avait maintenant vingt ans et sa vocation religieuse s’était réveillée à la mort de sa mère adoptive : elle ne pouvait apercevoir la cornette d’une sœur de Saint-Vincent-de-Paul sans être reprise du désir d’entrer dans cet ordre admirable, sur le fronton duquel le mot Sacrifice a été gravé par la Charité.

Maintenant qu’elle n’avait plus personne à soigner, qu’elle pouvait se laisser vivre dans le bien-être et l’inaction, que son frère allait la quitter, à qui pouvait-elle se dévouer, sinon aux malades et aux déshérités de la vie ; et que d’intimes satisfactions, inconnues du vulgaire, elle devinait dans ces cœurs de femme, qu’on s’imagine à tort glacés par la pratique de règles austères.

Mais Valentine Cardignac qui éprouvait pour cette orpheline, si simple et si digne dans son éternelle robe noire, une secrète et profonde sympathie, s’était efforcée de la détourner de son projet : « Soyez ma sœur, ma sœur à moi toute seule, lui avait-elle demandé. »

  1. Voir Jean Tapin.