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des tendresses d’une mère, à l’heure où la mère devient en même temps une amie ?

Au demeurant, Mlle Normand était une jeune fille accomplie, admirablement élevée, bonne musicienne, et presque savante, en ce sens que son esprit réfléchi l’avait amenée, sans effort, à s’intéresser aux travaux scientifiques de son oncle.

Du coup, l’ingénieur s’était mis à aimer sa nièce doublement : d’abord comme un père très tendre, et aussi comme un savant aime un élève préféré.

Bien mieux, il avait développé chez Valentine le goût des sciences, avait perfectionné chez elle les éléments de mathématiques que l’instruction élémentaire d’une jeune fille comporte ; souvent même, il se faisait aider par sa nièce dans des calculs de détail, et comme Valentine dessinait avec goût, il lui confiait des lavis de dessin, ce qui était une joie pour elle.

On conçoit qu’un tel caractère, uni à de telles aptitudes, fût de nature à plaire à Jean Cardignac. Le capitaine était donc devenu très vite l’ami de Valentine qui, de son côté, se prit à vouer à l’officier une sincère affection. Mme Cardignac, elle aussi, au cours des visites que l’ingénieur lui avait rendues, accompagné de sa nièce, s’était prise d’intérêt pour l’orpheline. Or, un soir de février, alors que déjà bien cassée, bien affaiblie, elle causait avec Jean, devant un grand feu pétillant :

— Mon enfant, lui dit-elle soudain, sais-tu à quoi je songe ?

— Non, mère.

— Je voudrais, avant de m’en aller, que tu fusses marié.

— Comment cela, petite mère ? fit Jean un peu surpris, mais souriant.

— Je sais bien, mon Jean, ce que tu vas me dire : que rien ne presse ; que tu veux te consacrer à moi toute seule… Mais, mon enfant, l’un n’empêche pas l’autre, et, bien au contraire, je n’en serais que plus heureuse ; car, si je viens à manquer, il ne faut pas oublier que nous avons charge d’âmes avec Lucienne et Pierrot.

— C’est vrai, petite mère.

— Eh bien, marie-toi ! Tu me rendras bien heureuse.

Puis, après un silence :

— Je crois que Mlle Valentine Normand serait une jeune femme accomplie pour mon fils ; n’est-ce pas ton avis, mon Jean ?

Jean hésita ; ses joues s’empourprèrent, et il murmura :