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Pieusement, à travers la foule qui s’ouvrit de nouveau, ils l’emportèrent au dehors.

Les chants funèbres emplissaient la vaste coupole, mêlés aux harmonies des orgues et aux sonorités des cuivres ; l’encens fumait sur les hauts trépieds de bronze, des milliers de lumières faisaient scintiller les dorures et jetaient sur les parois de marbre des lueurs d’incendie. Tout près de là, dans le jardin, les vieux canons de bronze qui avaient si souvent annoncé aux Parisiens les victoires du héros, tonnaient une dernière fois en l’honneur de son puissant génie ; une foule immense emplissait les avenues et les places, couvrait de grappes humaines les maisons et les monuments.

L’Archevêque de Paris bénissait le corps de Celui qui avait été sacré par le chef de la chrétienté, et le cercueil de Napoléon, descendu dans la crypte, trouvait enfin au cœur de Paris le repos suprême.

Et pendant que s’achevait l’inoubliable cérémonie du Retour des cendres, le colonel Cardignac, transporté en toute hâte dans sa petite maison de Saint-Cyr, se mourait, entouré de tous les siens.

Vers le soir, il reprit connaissance, fit d’une voix tranquille à sa femme ses dernières recommandations et reçut la visite de l’abbé Coquereau, aumônier de la Belle Poule, qui était venu le voir maintes fois sur la Favorite, pendant le voyage de retour de Sainte-Hélène.

— Je vais aller Le rejoindre, dit-il au vieux prêtre ; Dieu ne peut pas me refuser cela !

Il demanda alors sa croix dont il baisa l’effigie et le ruban rouge, puis, posant sa main tremblante sur la tête de ses deux fils, agenouillés au pied du lit, il leur donna sa bénédiction, en leur répétant la phrase qu’il avait reçue lui-même des lèvres du colonel Bernadieu mourant :

— Vivez dans l’honneur !

Honneur ! ce fut le dernier mot que prononça celui qui avait été Jean Tapin.

Le culte de l’honneur, l’amour de la patrie, la fidélité à Napoléon avaient rempli toute sa vie ; il pouvait la léguer en exemple à ses enfants.

Il expira un peu avant minuit, comme si la destinée eût voulu que ce grand jour, consacré par la France à la glorification de l’Empereur, fût en même temps le dernier jour du plus fidèle des soldats de l’Empire.