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Le tombeau de Napoléon était d’une extrême simplicité : il se composait de trois dalles déjà noircies par les vents humides de ces régions et ne dépassant guère le niveau du sol.

Une grille de fer sans porte les entourait : des deux saules pleureurs qui autrefois ombrageaient la tombe, un seul vivait encore.

Des pensées et des fleurs, jadis plantées par la comtesse Bertrand, rien ne subsistait ; mais la femme du gouverneur anglais, qui avait succédé à Hudson Lowe, avait planté une trentaine de cyprès.

Une enceinte irrégulière les entourait, constituée par un grillage en bois percé d’une porte. Près de cette porte, une guérite était occupée par un vétéran anglais, gardien du tombeau.

Vous dire, mes enfants, quelles pensées agitèrent le cœur du vieux soldat de l’Empire pendant la longue méditation qu’il fit ce jour-là, sur ce coin de terre, but de son long voyage, vous énumérer les évocations du passé qui surgirent dans son âme remplie d’une mystérieuse émotion, serait vous raconter de nouveau les péripéties d’une existence que vous connaissez déjà.

Il contemplait les dalles noires ! Rien n’y était écrit et pourtant il ne pouvait en détacher ses regards…

Rien n’y était écrit, car, lorsque les compagnons de captivité de l’Empereur avaient voulu graver sur la pierre cette simple inscription :

NAPOLÉON

Hudson Lowe s’y était opposé, alléguant qu’il ne connaissait pas sous ce nom l’homme qui venait de mourir, que son seul titre était celui de général et son seul nom celui de Bonaparte.


Le misérable bourreau n’ignorait pas pourtant que ce nom avait été acclamé par une nation de trente millions d’hommes, reconnu par tous les souverains de l’Europe, consacré par une fortune sans exemple et immortalisé par le génie. L’histoire le donnait déjà à l’Empereur vivant : Hudson Lowe, lui, le refusa à l’Empereur mort.

Mais comme la bassesse de caractère a toujours engendré le mépris des hommes, il se trouva que le geôlier du héros, à son retour en Angleterre, se heurta à la réprobation de ses compatriotes eux-mêmes.