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— C’est là qu’il était couché, dit le Grand Maréchal, répondant à ses intimes pensées… la tête tournée de ce côté… Il reposait sur un lit de camp en fer. Vis-à-vis, à cette place, était un buste, et là, un portrait du roi de Rome !…

Dans la pièce suivante, ce fut bien pis encore ; on trouva des bestiaux, et la gêne des officiers anglais devint telle qu’ils s’éclipsèrent.

Le baron de Las Cases traduisit alors l’impression de tous :

— Si on voulait anéantir ces témoins muets et pourtant éloquents d’actes barbares, dit-il, il fallait jeter bas ces murs et non pas les salir !

— Je vous présente mon fils, dit le Grand Maréchal au colonel Cardignac lorsqu’ils furent sortis de Longwood.

C’était un jeune homme de vingt-deux ans, aux traits fins, à la figure douce et au regard profond.

— Il est né à Sainte-Hélène, ajouta le Grand Maréchal, et l’Empereur a été son parrain.

— Vous êtes le filleul de Napoléon ? interrogea Cardignac.

— Oui, mon colonel.

— Alors, c’est comme si vous étiez le frère de mes enfants, car tous deux sont aussi les filleuls du grand homme. Laissez-moi vous embrasser, mon enfant.

— Oh ! de tout cœur, mon colonel.

Et, sur la joue du vieux soldat, une grosse larme roula.

Le colonel Cardignac prit congé du cortège officiel. Il voulait être seul pour arriver au tombeau de l’Empereur.

Deux milles anglais séparaient Longwood du vallon retiré où Napoléon dormait depuis vingt ans son dernier sommeil ; le colonel dut s’appuyer sur le bras de son guide pour arriver jusqu’au bord.

Enfin, au pied de la montagne, de maigres arbres, des pins, quelques saules apparurent.

— C’est là, dit miss Mary.

Le regard fixe, le colonel fit le salut militaire, se découvrit et mit un genou en terre. Dix fois, il crut qu’il allait défaillir, et dix fois sa volonté le soutint.

Longuement il contempla ces lieux où son imagination l’avait transporté si souvent.