Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le lendemain matin, 11 octobre, le Dolphin entrait en rade de James-Town.

Une surprise indicible y attendait le colonel : deux vaisseaux, battant pavillon français, étaient à l’ancre dans le port ; ils étaient arrivés trois jours auparavant. L’un était la Belle Poule, superbe frégate de soixante canons, commandée par le prince de Joinville, fils du roi Louis-Philippe ; l’autre était la Favorite, corvette de vingt-quatre canons, commandée par le commandant Guyet.

Quelques heures après, le colonel apprenait que le prince venait officiellement, au nom du gouvernement français, chercher le corps de Napoléon.

L’Angleterre, en effet, s’était ravisée. Par une note de Lord Palmerston, elle avait consenti à restituer à la France les restes mortels de son Empereur « en priant la nation française de considérer cette concession — tel était le texte de la note — comme un témoignage du désir de S. M.  Britannique d’éteindre à jamais les animosités nationales qui avaient maintenu les deux pays en armes pendant de longues années ».


Comme il serait à souhaiter, mes enfants, qu’à l’heure où j’écris ces lignes, S. M.  Britannique soit encore animée « du désir d’éteindre les animosités nationales » ou plutôt d’éviter les provocations susceptibles de les faire renaître !

Elle nous éviterait des humiliations comme celle de Fachoda, dont le souvenir tout récent étreint tous les cœurs français, et que je vous raconterai plus tard, quand nous en serons à cette date de notre histoire contemporaine.

Elle se dirait qu’on ne blesse pas impunément un grand peuple, qui puise dans son passé le droit de porter haut la tête, et qui a plus souvent versé son sang pour une question de gloire que pour une affaire d’intérêt.

Mais le progrès, tel que l’entendent certains hommes d’aujourd’hui, veut, paraît-il, que la politique, ce vilain mot que je vous souhaite de connaître le plus tard possible, ne s’inspire plus que de l’intérêt seul ; et il n’y a plus guère en Europe que notre cher pays de France pour connaître encore les enthousiasmes généreux et désintéressés.

Ne le regrettons pas, mes enfants ! Vous qui êtes la France de demain, conservez les nobles traditions du pays de Jeanne d’Arc, de Bayard et de Napoléon. Estimez-vous heureux d’appartenir à une nation qui, restée rebelle