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dispositions que pour le dessin et surtout pour la caricature, et Lise disait en levant les bras au ciel : « Que ferons-nous de cet enfant-là ? »

Un seul nom produisait sur lui un effet immanquable : celui de Henri Cardignac, le capitaine de spahis. — Celui-là, c’était le sauveur, celui qui lui était apparu en un jour terrible, le revolver au poing, tuant l’assassin de son père ; et corps et âme, de près ou de loin, il lui était attaché. Souvent Lise, employant les grands moyens, lui disait : « Je vais écrire au capitaine Henri que tu es un méchant petit garçon », et pendant deux jours l’enfant se tenait tranquille.

Mais Henri était loin et nul en dehors de lui, pas même le colonel, n’avait prise sur cette farouche et rebelle nature.

— Pierrot, dit le colonel, je pars pour un long voyage ; il faut que tu me promettes d’être sage et de ne pas chagriner ta maman Lise.

— Je promets ! fit Pierrot d’un air dégagé.

— Ce n’est pas comme cela qu’il faut promettre : tu penses à peine à ce que tu réponds et tu as la tête ailleurs, probablement à quelque méchante farce ?

Et comme l’enfant ne répondait pas :

— Écoute-moi, petit, reprit le colonel d’un air sévère : tu vas avoir dix ans bientôt ; le jour où ils sonneront, tu entreras à la Flèche, tu m’entends.

— Oh ! fit Lise, pauvre petit !

— Laisse-moi faire, reprit le colonel ; j’ai obtenu, non sans peine, qu’il y entrerait sans examen. Il le fallait bien ainsi, car il eût été incapable de le passer. C’est Lamoricière avec Cavaignac qui m’ont obtenu cette faveur.

— Qu’est-ce que c’est que cela la Flèche ? interrompit Pierrot.

— C’est une École Militaire où l’on n’admet que les enfants de soldats ! Comme ton père est mort en colonisant en Algérie et qu’un colon, au début d’une conquête comme celle-là, c’est presque un soldat, on a fait une exception pour toi.

— Je rentrerai de mon voyage à peu près à temps pour t’y conduire moi-même.

— Et il faut travailler là-dedans ?

— Certainement.

— Avec des cahiers… et des livres… et des plumes ?

— Avec tout cela et aussi avec tes bras et tes jambes, car on fait de la