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une catastrophe, inopinément survenue, n’avait transformé leur calme existence.

Leur père, adonné à la culture de la vigne, avait placé toute sa petite fortune chez leur oncle qui faisait, lui, le commerce des vins en gros à Dijon.

Tout avait bien prospéré, lorsque, un jour, le malheureux Agriculteur avait appris sa ruine totale : son frère était mis en faillite !

L’oncle Bertigny, gagné par la fièvre de la spéculation, avait fait en dehors de son commerce des opérations de Bourse. Il avait gagné d’abord, puis perdu, et s’enfonçant chaque jour davantage, il avait risqué dans cette misérable aventure non seulement son avoir mais celui de son frère. La gêne était arrivée, l’oncle Bertigny n’avait pu faire face à ses paiements. C’était le désastre !

Sa mise en faillite lui avait porté un coup mortel. Sa raison s’était égarée. Il était devenu fou ! On avait dû l’interner.

Mais son frère, en perdant tout son avoir, avait voulu quand même sauver son nom du déshonneur. Il paya, et pour cela dut vendre ses vignes.

C’était donc, par la faute du malheureux imprudent, la ruine pour toute la famille.

Avec les quelques petits capitaux qui lui restèrent, toutes dettes payées, Bertigny prenant une résolution énergique, quitta le pays.

C’était alors le début de la conquête algérienne.

— Allons là-bas ! avait-il dit ; nous rebâtirons notre aisance avec du travail.

Débarqué à Bougie, il avait obtenu une concession qui, grâce à son intelligence, commençait à prospérer.

Malheureusement la guerre ne cessait pas ; et, une nuit, les Arabes avaient, au cours d’une razzia, envahi le petit domaine, brûlé les bâtiments et enlevé le père et les deux enfants.

Cette fois, le désastre était sans remède.

On les avait conduits à Constantine et emprisonnés.

Le caïd, se basant sur la qualité de propriétaire du colon, avait cru sans doute qu’il était plus riche qu’il ne l’était en réalité et avait exigé rançon.

Bertigny avait écrit au gouverneur général. Mais sa lettre était-elle seulement arrivée à destination ?