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Le chirurgien de la 9e demi-brigade était un vieux praticien nommé Lapoule, qui n’avait pas son pareil dans toute la division pour couper une jambe et désarticuler un bras. — Il ne connaissait d’ailleurs que ce moyen de guérir une blessure : supprimer le membre blessé ; et il faut bien avouer que, dans l’état de la médecine d’alors, il avait souvent raison.

Aujourd’hui au contraire, avec les procédés antiseptiques en usage partout, on arrive presque toujours à prévenir l’inflammation des plaies et surtout la purulence qui les rendaient jadis mortelles ; chaque soldat porte aujourd’hui, dans la poche intérieure de sa capote ou de sa veste, un pansement tout préparé, qu’il peut mettre lui-même ou qu’un camarade peut appliquer sur une blessure quelle qu’elle soit ; cette application permet d’attendre le médecin, et on ne verra plus des malheureux, abandonnés sur les champs de bataille, mourir de blessures envenimées par le manque de soins.

Poussé par la curiosité, car il voulait tout voir et tout savoir, Jean se dirigea vers l’ambulance. Ce qui l’attirait surtout, c’était le désir de considérer de près ces Autrichiens qu’il n’avait vus que de loin, sous forme de silhouettes, à travers la fumée. Il y arriva au moment où on venait d’y apporter le prince de Ligne ; le jeune général autrichien avait reçu deux biscaïens, en chargeant une batterie d’artillerie, et il était mort quand on le déposa sur la paille qui servait indistinctement de lit aux blessés de tous grades. Un sergent de volontaires venait de trouver sur lui une lettre en allemand, que le docteur Lapoule traduisait à mi-voix, et Jean s’approcha pour l’entendre. De cette lettre il ressortait nettement que les envahisseurs de la France avaient perdu leur enthousiasme du début.

« Nous commençons, disait le prince, à être las de cette guerre où messieurs les émigrés nous promettaient plus de beurre que de pain. Nous avons à combattre des troupes de ligne dont aucune ne déserte, des troupes nationales qui tiennent ferme, et des paysans qui tirent contre nous ou nous assassinent quand ils trouvent un homme seul, endormi dans une maison. Les chemins deviennent impraticables et nos canons s’embourbent ; de plus, la famine ; nous avons tout le mal imaginable pour que le soldat ait du pain, et la viande manque souvent. Bien des officiers sont cinq ou six jours sans manger chaud ; nos souliers et capotes sont pourris, et nos soldats commencent à avoir la dysenterie pour avoir mangé des