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Deux coups de fusil partirent encore, trouant la nuit de deux taches de flamme subitement éteintes, et leur écho roula, se répercutant à travers les grands bois. Puis, plus rien.

Le silence reprit, rompu seulement par le pas de sentinelles qui allaient et venaient comme des ombres, et par leur : « Qui vive ? » lorsque s’avançaient les patrouilles.

« C’est drôle, murmura le petit tambour, personne ne bouge ! »

À cet instant, un bruit de pas lui fit tourner la tête, et il aperçut un groupe d’hommes qui s’approchait. Devant le groupe marchaient deux officiers, enveloppés de longs manteaux, et Jean entendit le plus petit dire à l’autre : « Et surtout, mon brave Stengel, pas de folie !… »

Stengel ! l’enfant sursauta : il connaissait ce nom célèbre dans toute l’armée du Centre. Colonel du 1er hussards et nommé lieutenant général depuis la veille, Stengel était le plus brave et le plus habile cavalier de son époque : on l’a appelé le Murat de la Révolution.

Mais qui pouvait parler aussi familièrement à ce redouté sabreur ? Quel autre que le chef suprême pouvait lui donner aussi amicalement des conseils de prudence !

Les rayons d’une lanterne que portait un soldat ordonnance éclairèrent un instant les deux interlocuteurs et, au portrait qu’il en avait entendu faire, l’enfant devina Dumouriez.

C’était lui, en effet.

Il était petit et laid : les traits fortement accusés, le teint presque olivâtre, le front large, le nez aquilin, la bouche grande et souriante, parfois dédaigneuse, les yeux noirs pleins de flamme : il gesticulait avec vivacité suivant son habitude, et ses mains, qu’il avait petites et ridées, faisaient scintiller les diamants de ses bagues.

Jean était toujours dans la même posture, mais en voyant le général se diriger vers lui, il fit un pas en arrière, tomba à son tour dans le rayon de la lanterne, et Dumouriez s’arrêta, étonné de voir à pareille heure, dans le camp, ce gamin, sabre en main :

« Hé ! qu’est-ce que tu fais là ? » questionna-t-il.

Un peu troublé, Jean, se rappelant les recommandations de Belle-Rose, prit aussitôt la position militaire ; et, les talons joints, bien droit, la tête haute, son sabre bien placé, la poignée à la hanche, il répondit :