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À la brume, une ligne noire apparut sur les hauteurs d’un village peu éloigné, nommé Saint-Georges, et Belle-Rose, qui possédait une lunette d’approche, objet de luxe à cette époque, reconnut en elle une forte reconnaissance de cavalerie ennemie.

Elle évolua jusqu’à la nuit close au sommet du plateau, de l’autre côté de la rivière, et Jean, hypnotisé par la vue de l’ennemi, qui lui apparaissait pour la première fois, ne mangea, ce soir-là, que du bout des dents.

Pendant la nuit, il ne put réussir à trouver le sommeil.

Il songeait que, cette fois, il était un soldat « pour de bon », qu’il était à la guerre « pour de vrai ».

Et, en pensant à la bataille prochaine, il était envahi par une émotion étrange.

C’était une inquiétude délicieuse, faite, à la fois, de fierté, de curiosité et d’enthousiasme !

Fierté de se sentir — lui, enfant, — l’égal de ces hommes hardis, pleins d’audace, qui l’entouraient.

Enthousiasme irraisonné peut-être, tout impulsif, mais puissant, qui faisait vibrer son âme bien française !

Curiosité ! Oh ! certes !

« Comment sont-ils, ces Prussiens, ces étrangers qui nous haïssent ? pensait l’enfant. Quand donc vais-je les voir ? Comment est-ce, le bruit de la fusillade ?… Comment sifflent les balles ?… Quel fracas font les canons ?… Oh ! comme je voudrais y être ! »

Et il frissonnait, se retournait, fiévreux, sur l’amas de fougères sèches où il reposait, ce soir-là, à côté du tambour-maître.

« Ah ! comme ça doit être beau ! » dit-il tout haut.

Mais soudain il se redressa vivement, prêtant l’oreille.

Au loin, très loin, du côté de la vallée, un bruit de coups de feu perçait la nuit. Peu nombreux, ils se succédaient à courts intervalles ; parfois, deux ou trois éclataient ensemble, suivis d’autres isolés.

Jean Tapin s’était levé. Poussé par une force irrésistible, il saisit son sabre et sortit comme il l’avait fait l’avant-veille.

Debout près de la charrette, la poignée de son arme nerveusement serrée, les yeux brillants, il regarda, tout là-bas, l’horizon embrumé.

Pan ! Pan !