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— Ah ! parfait ! s’écrièrent plusieurs officiers.

Un murmure de satisfaction rageuse parcourut la colonne, dont tous les hommes écoutaient, anxieux, cherchant à saisir de loin les explications de leur colonel.

Les plus proches avaient d’ailleurs entendu, et comme une traînée de poudre, la nouvelle fila sur tout le front de la neuvième.

Bientôt, le murmure devint rumeur, puis se transforma en cris.

Sans quitter les rangs, les soldats brandirent leurs fusils, et leurs grands chapeaux à cornes :

« À l’ennemi !… Aux Prussiens ! Mort à Brunswick ! Vive la nation ! »

Ce fut pendant quelques minutes un tumulte indescriptible.

Ici, mes enfants, je vous ouvre une petite parenthèse…

S’il vous était donné de pénétrer aujourd’hui dans une de nos casernes, par exemple le jour où le colonel présente pour la première fois le drapeau aux soldats récemment incorporés, vous seriez certainement émus en entendant les paroles vibrantes que sait trouver le chef du régiment pour faire connaître aux hommes que le devoir militaire leur ordonne de mourir pour le drapeau.

Mais vous seriez étonnés aussi, j’en suis sûr, de ne pas entendre un seul mot, de ne pas remarquer un seul geste parmi les centaines de soldats à qui vient de s’adresser cette allocution. Tous, immobiles comme des statues, présentent l’arme au drapeau, écoutent, refoulent leur émotion et se taisent.

C’est que la discipline le veut ainsi.

Elle ne permet dans les rangs aucune marque d’approbation, parce que le jour où elle tolérerait des applaudissements, elle devrait aussi permettre les critiques et que le soldat doit marcher sans discuter : vous devinez d’ailleurs qu’il deviendrait impossible de conduire au combat les milliers d’hommes qui forment les grandes armées d’aujourd’hui si les ordres des chefs étaient l’objet d’une discussion quelconque.

Mais, me direz-vous, ces volontaires de la Révolution n’avaient donc aucune discipline, puisqu’ils criaient et manifestaient bruyamment leurs sentiments en présence de leurs chefs.

À vous dire vrai, mes enfants, ils n’en avaient pas beaucoup, car la discipline est une vertu militaire qui ne s’apprend pas en un jour, et les