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tomber sur les bras, ils se sont bornés à étendre leur ligne dans les plaines de la Meuse et à occuper Stenay.

— C’est bizarre ! interrompit le commandant Dorval.

— Oui ! c’est une temporisation inexplicable, poursuivit le colonel Bernadieu, et c’est une chance pour nous. Reste à savoir si l’armée de Dumouriez aura eu le temps et la force d’occuper l’Argonne, d’établir ainsi une barrière entre la France et l’ennemi.

— Mais il est à Sedan ! dit encore le commandant. Comment admettre la possibilité pour Dumouriez d’exécuter cette marche de flanc, à pareille proximité de l’ennemi ? Elle est si audacieuse qu’elle paraît presque impossible à réaliser.

— Il l’a pourtant osée, répondit Bernadieu avec un éclair dans le regard. C’est va-tout, j’en conviens, mais il n’y avait, selon moi, que cela à tenter.

— Alors il est en route !

— Oui. Le général vient d’en aviser le maréchal Luckner, qui, de son côté, vient d’arriver à Châlons. Fractionnant son armée en trois colonnes, Dumouriez a commencé cette marche hardie le 30 août. Il l’a fait savoir par estafette, demandant d’urgence du renfort, et, bien qu’il demande surtout des troupes de ligne ou des volontaires de 91, nous sommes désignés pour le rejoindre à Grand-Pré.

— À Grand-Pré ! C’est un point rudement solide, dit le commandant Dorval. Je connais l’endroit, puisque c’est à quelques lieues de mon pays : je suis de Montmédy. Mais, a-t-on des nouvelles de Dumouriez, depuis son départ de Sedan ?

— Non ! son plan consiste en ceci : s’emparer des cinq passages de l’Argonne, qui sont, du sud au nord : la Chalade, les Islettes, Grand-Pré, la Croix-aux-Bois et le Chêne-Populeux.

Et Bernadieu indiquait du doigt, sur la carte, les points désignés, à tous les officiers attentifs.

— S’il réussit, c’est parfait ! fit le commandant Dorval, car l’ennemi aura du mal à forcer ces défilés ; les routes sont mauvaises, et si l’infanterie à la rigueur peut passer, les canons et les équipages ne suivront pas facilement, surtout s’il s’amusait à pleuvoir, fit-il en regardant le ciel très morose ce jour-là.

Le colonel avait laissé patiemment parler le vieil officier. Il continua :