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— Alors, adieu général, et si jamais pareil forfait est accompli contre le plus grand génie qui ait jamais existé, que le noble sang versé par la Prusse retombe à jamais sur elle.

Et Jean Cardignac épuisé retomba sur son oreiller.


Blücher, heureusement, ne put s’emparer de Napoléon ; il l’essaya mais il ne réussit dans sa tentative qu’à faire détruire près de Rocquencourt, aux portes de Versailles, par le général Exelmans, deux régiments de cavalerie envoyés à sa recherche.

Ce brillant fait d’armes devait être d’ailleurs le dernier combat de cette guerre si courte et si terrible tout à la fois.

Pendant sa convalescence, Jean apprit successivement l’entrée des Alliés à Paris et l’embarquement de Napoléon pour l’île de Sainte-Hélène.

Oui, le Grand Homme avait cru qu’en se livrant aux Anglais, il obtiendrait d’eux, en échange de sa parole de ne plus troubler la paix du monde, une retraite tranquille en pays civilisé.


« — Altesse Royale, avait-il écrit au prince régent d’Angleterre, en butte aux factions qui divisent mon pays et à l’inimitié des grandes puissances de l’Europe, j’ai terminé ma carrière politique et je viens, comme Thémistocle, m’asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois que je réclame comme celles du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. »


Cette lettre si noble, cet appel à la magnanimité d’un peuple n’avait pas touché l’honneur anglais, puisque cet honneur est toujours mélangé d’intérêt, et qu’à cette époque en particulier, il était dominé par la peur qu’inspirait depuis vingt ans le nom de Napoléon.

L’Empereur avait demandé une retraite : le peuple anglais, se faisant le geôlier de l’Europe, lui donna une prison, et non content de le tenir cloué sur l’aride rocher de Sainte-Hélène, il choisit avec soin le bourreau qui allait en avoir la garde.

Si l’Angleterre s’est déshonorée en imposant au Grand Homme un martyre de six ans sous un climat meurtrier, alors qu’il n’était plus à craindre, sir Hudson Lowe, son geôlier, a laissé une mémoire exécrée et il est peu de noms dans l’histoire aussi méprisables que le sien.