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elle, animés d’une haine sauvage, elle n’avait pas cent cinquante mille soldats à opposer.

Mais avec ces cent cinquante mille hommes, Napoléon, suivant son habitude, prit l’offensive dans le but de séparer les Anglais des Prussiens, pour les battre séparément : le 15 juin il entra en Belgique, passa la Sambre à Charleroi, et le lendemain enfonça les Prussiens commandés par Blücher dans cette bataille acharnée qui porte le nom de bataille de Ligny.

Le même jour, Ney se heurtait aux Anglais, aux Quatre-Bras, et leur livrait une bataille indécise.

Le surlendemain, 18 juin, jour de deuil, date funèbre s’il en fût, s’engageait la bataille de Waterloo !


Jean Cardignac avait à peine eu le temps de passer quelques heures avec sa femme et ses enfants. Remis par l’Empereur en possession de son commandement, celui du 1er régiment de grenadiers à pied, il avait employé ses jours et ses nuits à le réorganiser et à le pourvoir de tout ce qui était nécessaire pour entrer en campagne.

Quand l’heure fut venue de quitter la rue de la Huchette, Jean Cardignac prit ses deux enfants sur ses genoux ; Henri et Jean allaient avoir huit ans.

— Vous êtes maintenant en âge de me comprendre, mes chéris, dit-il ; tout au moins pouvez-vous retenir mes paroles pour les méditer plus tard. Écoutez-moi donc : si je ne reviens pas de cette grande guerre, la dernière sans doute, soyez plus tard mes vengeurs, soyez soldats tous deux. C’est mon vœu le plus cher, c’est ma volonté !

Et toi, ma chère Lise, tu respecteras cette volonté en leur faisant apprendre l’histoire de nos grandes guerres, en leur enseignant la loyauté, en formant leurs caractères, tu en feras des hommes dignes de porter l’épée. Sois courageuse, ma bien-aimée, comme tu l’as été pendant notre vie si tourmentée, rappelez-vous mon dernier mot : il est celui que j’ai reçu moi-même de la bouche du général Bernadieu mourant : « Vivez dans l’honneur. »

Les deux enfants l’avaient écouté songeurs et braves, leurs beaux yeux fixés sur les siens ; et après une dernière étreinte à Lisette, étreinte dans laquelle il mit toute son âme, Jean était parti sans tourner la tête, tout entier désormais au suprême devoir.