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— Ah ! le pauvre, le cher Empereur, dit Grimbalet, que vous ne le reconnaîtriez point, tant qu’il est jaune et malade… Paraît qu’il a voulu mourir, ajouta-t-il à voix basse !

— Peut-on le voir ?

— Pour ça non, mon colonel. Il veut être tout seul ; et il n’a pas de mal à être tout seul, allez ! parce que tous les maréchaux sont partis…

— Tous ?

— Il ne reste au Palais que Gourgaud et Bertrand, deux braves gens, ceux-là !… Jusqu’à Koustan, le mameluk, qui a filé ! Jean secoua tristement la tête.

— Il les avait pourtant comblés ! murmura-t-il.

— Justement, mon colonel, répondit à voix presque basse le grenadier : ils n’avaient plus rien à attendre de lui… que la paix… Ils l’ont !

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Le lendemain matin, dans la grande cour du Cheval blanc, la Vieille Garde était sous les armes.

Le 1er régiment de Grenadiers avait ce jour-là, deux colonels, car le colonel Meunier avait tenu à ce que son prédécesseur fût à ses côtés et lui avait cédé la droite.

Les vieux grognards n’avaient pu en croire leurs yeux en revoyant Jean Cardignac qui pour tous était enseveli sous les neiges de Russie, et bien qu’on ne s’étonnât pas facilement dans cette rude époque, quelques-uns n’avaient pas été loin de le prendre pour un revenant, désireux de saluer l’Empereur pour la dernière fois.

Mais avant de se mettre sur les rangs, tous ceux qui avaient connu Jean s’étaient empressés autour de lui et lui avaient manifesté de la façon la plus vive leur joie de le revoir. Grimbalet d’ailleurs les avait prévenus, et Jean Cardignac, très touché par ces marques d’affection, ne put s’empêcher de sourire de l’ahurissement de l’un d’eux dont le nom lui revint à ce moment et qui, l’air penaud, n’osait s’approcher.

— Eh bien, Bonnaud, lui dit le jeune colonel, donne-moi la main tout de même, bien que nous n’ayons pas gardé les… moutons ensemble.

C’était le grognard qui l’avait si mal reçu à l’entrée de Fontainebleau.

Mais un roulement de tambours se fit entendre et au sommet du grand escalier, l’Empereur parut.