Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/419

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Décidément l’uniforme étranger qui l’avait préservé jusque-là, lui pesait lourdement aux épaules.

Il parcourut la rue principale, et d’autres portes se fermèrent.

— Pourvu que je ne reçoive pas un coup de fusil, se dit-il.

Il arriva à une petite place et devant un gros bâtiment carré où on accédait par des marches, il retrouva l’impression qui l’avait assailli tout à l’heure.

Il était déjà venu là !

Mais quand ? il avait tant voyagé, il avait vu tant de pays, que sa mémoire surchargée de visions rapides et confuses ne pouvait rien préciser.

Au fond de la place, il distingua une maison de jolie apparence, précédée d’un jardinet. Une petite grille la séparait de la route, noyée dans la glycine et la vigne vierge.

Devant la porte, un vieillard assis se chauffait aux premiers rayons du soleil de printemps, et à sa vue, l’impression de Jean Cardignac, s’aviva encore.

Il sauta à bas de son cheval, noua la bride à la porte de la grille et entra.

— Monsieur, dit-il au vieillard, en jetant à ses pieds son bonnet de fourrure, je suis Français et colonel dans la Garde impériale. Cet uniforme étranger que je porte ne m’a servi qu’à traverser toute l’Allemagne, après mon évasion des prisons de l’ennemi. Je veux m’en débarrasser, trouver des vêtements convenables et rejoindre l’Empereur : voulez-vous m’y aider ?

Et ce disant, Jean débouclant son ceinturon, jeta son sabre à terre.

Le vieillard s’était levé.

— Vous êtes colonel dans la Garde ? demanda-t-il en ôtant sa casquette.

— Oui.

— Dans la Garde de l’Empereur Napoléon ?

— Oui, au 1er régiment de grenadiers.

— Oh ! alors, monsieur, suivez-moi, je suis tout à vous.

Mais comme il allait entrer dans la maison, une jeune bonne apparut à la grille.

— Monsieur bataille, dit-elle, les enfants vous appellent.

Bataille ! Ce nom fut pour le jeune colonel un trait de lumière.