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tions de son gardien, fut saisi soudain d’un accès de colère irrésistible. Saisissant brusquement la cruche de grès de sa cellule qu’il trouva à portée de sa main, il en porta un coup terrible à l’Allemand.

Le gardien tomba comme une masse sur les dalles, le crâne fendu.

En le voyant étendu sans mouvement (car il avait été tué raide), Jean se réveilla comme d’un cauchemar.

Qu’avait-il fait ?

Avant la fin du jour, il allait être fusillé sur le glacis de la citadelle.

Alors il pensa aux siens, aux siens que, malgré tout, il ne désespérait pas de revoir à la fin de cette guerre terrible, et une poussée de sombre énergie le redressa.

Il tendit l’oreille ; personne ne l’avait entendu, l’Allemand n’ayant pas eu le temps de pousser un cri.

En un tour de main Jean le débarrassa de sa livrée bleu foncé, tira le corps dans un coin et le dissimula sous la couverture qui lui servait de couchette ; puis il revêtit la longue capote du gardien et enfonça la large casquette sur ses yeux. Dans l’une des poches il sentit l’énorme trousseau de clefs qui ne quittait jamais le dur cerbère et, poussant la porte de sa cellule, il y chercha celle qui s’adaptait à la serrure.

Il la trouva par bonheur, et quand il eut refermé la lourde porte, il respira ; un autre gardien ne pouvait plus en se promenant et en entrant dans la cellule restée ouverte, découvrir immédiatement le cadavre et donner l’alarme : il avait donc un certain temps devant lui, et un grand calme, celui des heures critiques pour les caractères fortement trempés, lui permit de réfléchir au meilleur procédé d’évasion.

Il n’y en avait qu’un : chercher la porte et sortir le plus naturellement du monde.

Il enfila le premier couloir qu’il rencontra, essayant d’imiter la lourde démarche de son gardien, répondit par le geste vague de l’homme pressé à l’interpellation d’un collègue qu’il rencontra, et, après avoir parcouru un véritable dédale de corridors sombres et humides, arriva devant la loge du gardien-chef.

Jean était d’ailleurs résolu à tout ; ce fut en serrant nerveusement le trousseau de lourdes clefs qui pouvait constituer entre ses mains une arme dangereuse, qu’il franchit la porte d’un pas délibéré.