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CHAPITRE XVI

le dernier carré


Un matin du mois de mars 1813, Lisette prit ses deux enfants par la main et se dirigea vers le Carrousel. Elle était en grand deuil, les épaules couvertes d’un fichu de dentelle noire et une écharpe de tulle voltigeant derrière elle, suivant la mode d’alors. Henri et Jean, tous deux vêtus de noir, eux aussi, la physionomie sérieuse, regardaient à la dérobée leur maman sur le pâle visage de laquelle coulait une larme silencieuse.

Sur leur passage, les curieux se retournaient et disaient tout bas : « C’est encore une veuve d’officier de l’Empereur. »

Ils ne risquaient guère de se tromper, car elles étaient nombreuses en France, en cette année 1813, les veuves et les mères dont les maris et les enfants étaient restés dans les plaines glacées de la Russie.

C’était, depuis quatre mois, la première sortie de Lisette.

Depuis quatre mois elle n’avait pas reçu de nouvelles de Jean. La dernière lettre qui lui était parvenue avait été écrite après le passage de la Bérésina, en novembre 1812, et était arrivée en décembre à Paris avec le courrier impérial : elle savait donc que son mari avait échappé au désastre qui avait suivi le passage de cette rivière ; mais depuis, aucune lettre personnelle, aucun document officiel n’était venu lui parler du colonel du 1er grenadiers. — Le nombre des généraux et colonels morts ou prisonniers dans cette fatale retraite, avait été tel que le Bulletin ne les avait pas mentionnés pour ne point effrayer l’opinion. Lisette avait bien adressé au Cabinet