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— Je ne dis pas, répondit l’épicier ; mais c’est égal, les boulets et les balles, ça n’est pas engageant.

— Ça dépend des tempéraments, citoyen Sansonneau, dit en riant le colonel. Allons ! Jean, fais tes adieux, et vive la nation !

Maîtresse Sansonneau, pleurant presque, embrassa le petit soldat, et lui glissa dans la main un sac qui contenait trois écus de six livres, ce qui était, à cette époque, un beau cadeau ; Jean la remercia avec émotion et partit avec le colonel Bernadieu.

Le lendemain, dès l’aube, il était à la droite du premier rang des douze tambours, au milieu de la cour des Minimes. La 9e demi-brigade était rassemblée en carré, les tambours et le drapeau tricolore au centre. En arrière se trouvait une petite charrette, recouverte d’une bâche et attelée d’un petit cheval rouan : c’était la voiture de la cantinière ; la frimousse éveillée de Lisette apparaissait sous la bâche, et Catherine tenait le cheval par la bride. Derrière étaient rangées les voitures de réquisition, conduites par des charretiers.

Le colonel Bernadieu, à cheval sur un gros percheron gris à longs crins, s’avança. Et, au milieu du silence :

— Soldats de la 9e demi-brigade, dit-il d’une voix claire et ferme qu’on entendit aux quatre coins du quartier, la patrie en danger nous réclame ! Nous partons pour combattre les ennemis de la nation ! Nous les chasserons, ou nous resterons sur le champ de bataille. Voilà ce que j’attends de vous. Je ne vous en dis pas plus long : tous nous nous comprenons !

Puis, levant son sabre, il cria :

— Vive la nation !

Un long cri de « Vive la nation ! » sortit de toutes les poitrines ; puis, le silence rétabli, les commandements des capitaines retentirent : les compagnies firent toutes « par le flanc gauche ».

Le colonel vint se placer derrière les tambours et en avant du drapeau.

Il se retourna alors sur sa selle pour jeter un dernier coup d’œil sur son régiment ; puis il fit un signe de tête à Belle-Rose qui attendait, la canne à pomme de cuivre en l’air. Le bras du tambour-maître fit tourner la canne ; la marche retentit, et le régiment s’ébranla.

Trois quarts d’heure plus tard, ayant franchi les faubourgs de Paris, la 9e demi-brigade s’allongeait, comme un serpent multicolore, sur la route