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Elle représentait un enfant aux boucles blondes et aux yeux bleus, portant par dessus sa collerette de dentelles, le large ruban de la légion d’honneur en sautoir.

— Oh ! sire, fit Jean, qu’il est beau ! c’est sa majesté le Roi de Rome.

— Oui, n’est-ce pas, qu’il est beau !… ce portrait est arrivé hier soir de Paris. C’est d’un heureux présage pour aujourd’hui.

Et se campant en face du tableau, les mains derrière le dos, dans son attitude familière.

— Ils sont gentils, tes enfants, Tapin ?

— Oh ! sire, je crois bien…

— Tu les amèneras aux Tuileries, je veux qu’ils connaissent mon fils.

— L’un d’eux porte votre nom, sire.

— Alors, je veux en être le parrain.

— Oh ! sire ! quel honneur pour lui, pour…

Napoléon l’interrompit.

— Mais j’y songe, dit-il, tes enfants sont jumeaux ?

— Oui, sire.

— Alors il n’y a pas de raison pour que je sois le parrain de l’un plutôt que celui de l’autre : tous deux seront donc mes filleuls[1]. Je te dois bien cela.

— Oh sire ! murmura Jean d’une voix étouffée par l’émotion.

L’Empereur continua :

— Ils auront donc une pension sur ma cassette, jusqu’à leur majorité, et une bourse impériale à leur entrée à Saint-Cyr, si tu veux les y mettre. Tu me rappelleras cela à Paris…

Lorsque Jean, encore tout remué par ces bienveillantes paroles de l’Empereur, sortit de la tente, le soleil, semblable à une large tache de sang, montait dans le brouillard matinal, et on lisait dans chaque compagnie une proclamation de Napoléon.

Les soldats avaient crié « Vive l’Empereur ! »

Puis, dans le silence qui avait succédé, les canons des deux armées avaient commencé à tonner.

En même temps, calme comme à une parade, le shako et le plumet bien droits, les rangs superbement alignés, l’infanterie s’était avancée.

  1. Le volume qui fait suite à Jean Tapin et qui comprend les guerres de 1830 à 1870 porte le titre : Filleuls de Napoléon.