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aucun de ces mobiles et dont le principal souci de chaque jour était de trouver à manger, s’en allaient marauder dans la campagne et ne revenaient pas.

La cavalerie dut faire la chasse à ces traînards, qu’on ramenait de force et qu’on réincorporait à nouveau.

Néanmoins Napoléon triompha de ces difficultés, pourtant plus grandes que celles du combat lui-même.

Forçant les Russes à se retirer, il s’avança vers Wilna.

Un peu avant d’arriver dans cette ville, Jean Cardignac fut envoyé en reconnaissance par l’Empereur.

Notre ami s’était écarté vers la gauche, dans la direction qu’il avait à reconnaître. Il venait de traverser un grand bois de sapins, quand, sur une déclivité de la steppe, il aperçut le toit d’une des habitations campagnardes de ces régions, sortes de maisons en bois qu’on nomme isba.

Des cris en partaient. Soudain un coup de feu retentit, suivi d’un autre, puis d’un troisième, et le commandant Cardignac aperçut la fumée qui s’envolait, légère, au-dessous des poutrelles rondes de la toiture.

Il n’hésita pas !

Enlevant son cheval qui bondit au milieu des ajoncs, l’officier eut, d’un temps de galop, gagné la ferme ; mais, au moment où il contournait le bâtiment, il éprouva une stupeur qui dégénéra instantanément en colère violente.

Devant l’isba, cinq soldats traînards de la division italienne venaient d’attacher au poteau du puits un vieillard, vieux moujik à barbe grise qui se lamentait, impuissant contre les coups qui pleuvaient sur lui.

Devant la porte basse, deux cadavres étaient étendus.

L’un était celui d’un autre Russe plus jeune (le fils ou le gendre du vieux sans doute) ; et courbés sur son corps, une jeune femme et un petit garçon de huit à dix ans pleuraient.

L’autre cadavre était celui d’un sixième maraudeur.

Jean n’eut pas de peine à reconstituer dans son esprit l’horrible scène.

Les Italiens, rôdant pour piller, avaient vu leur tentative repoussée ; le jeune paysan avait tiré et tué un des assaillants ; à son tour, il avait été tué : et c’était sans doute le vieillard qui, intervenant, avait tiré le troisième coup de feu sans blesser personne. Triste victime, il allait certainement payer de sa vie cette tentative désespérée, lorsque le commandant était survenu.