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— Regarde, fit-elle. Père te l’avait écrit, et sa lettre doit te chercher quelque part, là-bas, en Pologne. Il y a vingt-quatre jours déjà.

Jean s’approcha.

Dans l’ombre propice au sommeil des tout petits, une barcelonnette en bois tourné, ornée de rideaux blancs et de rubans bleus, contenait deux adorables bébés roses qui dormaient l’un contre l’autre, comme deux petits anges, les menottes fermées, sous le regard attendri de Catherine.

C’étaient les deux petits garçons jumeaux du capitaine Jean Cardignac ; ils étaient venus au monde le 14 juin 1807, le jour même où leur père suivait à Friedland le maréchal Ney sous une grêle de boulets.

— Oh ! Lise ! ma Lise chérie, fit Jean dans un élan d’infinie tendresse.

Et il ne put en dire plus, car il sentit monter à ses yeux les douces larmes de joie que connaissent seules les consciences droites et les natures généreuses, les larmes distillées par le bonheur au plus intime de l’être, manifestation suprême de la joie comme de la douleur humaine.

Il se pencha, et, de sa fine moustache, effleura les deux petits fronts. Puis après les avoir contemplés un instant dans leur tranquille sommeil :

— Deux soldats pour l’Empereur ! fit-il en serrant la main de sa compagne.


Hélas ! si le jeune officier eut pu lire à cette heure dans le livre de la destinée, il y eût trouvé, huit ans après, les tristesses de l’abdication, et six autres années plus tard, la fin du martyre de Sainte-Hélène !

Et à l’heure où les deux enfants de Jean Cardignac devaient atteindre l’âge d’être soldats, cet Empereur, au service de qui leur père les consacrait par avance, devait dormir son dernier sommeil dans l’exil étouffant, à trois mille lieues de la France :

Sur un écueil battu par la vague plaintive.