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— C’est fort intelligemment travaillé, mon ami ! dit-il. Je suis content de toi !… Et tu connais, dis-tu, le meilleur passage ?

— Oui, Sire ! Du reste, j’ai tenu à amener ces deux hommes pour guider votre Majesté. J’ai pensé que ce pourrait être utile.

— Bien ! dit l’Empereur. Je vais te faire donner un cheval ; tu restes avec moi pour nous guider. Les chasseurs suivront avec ta capture. Nous allons enlever le Landgrafenberg.

Trois quarts d’heure plus tard, les voltigeurs de Lannes avaient forcé les Prussiens à se replier. C’est sur le point même indiqué par notre ami Jean que l’attaque avait été dirigée. Elle avait pleinement réussi.

Un sourire de satisfaction passa sur la physionomie de l’Empereur.

Lorsque, sur cette position formidable (dont la possession devait décider de la bataille du lendemain) Napoléon eut fait installer la division Lannes et la garde impériale avec sa tente personnelle au milieu du plateau, il fit venir Jean Cardignac.

— Mon enfant, lui dit-il, tu m’as rendu un signalé service ; en récompense je t’attache à mon État-Major. Tu te procureras un chapeau d’ordonnance pour remplacer ton bonnet de grenadier. Quant à l’uniforme, tu garderas ton habit jusqu’à Berlin. Arrivé là, tu te feras faire une tenue d’État-Major. Es-tu content ?

— Oh ! Sire, comment pourrais-je vous l’exprimer !

C’est ainsi, mes enfants, que le petit apprenti luthier, le petit fondeur de chandelles, le petit tambour de Bernadieu, devint, par son seul mérite, par son intelligence et sa bravoure, officier de l’État-Major de Napoléon ier.

Toute la nuit du 13 au 14 octobre 1806, il fut sur pied ou à cheval, escortant partout l’Empereur ; car cette nuit-là fut employée par Napoléon à amener sur le plateau de Landgrafenberg des pièces de canon. Or, il n’avait, pour y accéder, que des coteaux abrupts.

Il fallut que le génie taillât en plein roc une route étroite et rapide pour hisser l’artillerie.

Encore est-il que ce ne fut pas commode, car on dut atteler douze chevaux pour hisser chaque canon.

Napoléon, impatient, enfiévré, guidait les travailleurs, et comme il faisait une nuit très noire, on le vit saisir un falot et éclairer lui-même les soldats qui maniaient la pioche.