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Mais ce fut court.

Serré contre la porte de l’écurie, le sergent ne pouvait plus reculer.

Alors, d’un coup sec, notre camarade fit sauter en l’air le sabre court de son adversaire, et lui mettant la pointe à la gorge :

Ergib dich… oder du bist tôt  ![1] dit-il.

Le sergent laissa retomber les bras dans une attitude d’impuissance.

Verzeihen Sie, Herr Lieutenant !… Sie sind der Meister… ich ergebe mich ![2] cria-t-il.

— C’est bien ! dit Jean Tapin sans baisser son arme.

Et au paysan :

Und du… bring mer eine Leinc, ein Strick, irgend ein Riemen, du wirst dann diesem Kere die beiden Füsse zusammenbinden ![3]

Le campagnard obéit.

Un quart d’heure plus tard, Jean Cardignac arrivait devant l’Empereur avec ses deux prisonniers.

Ce fut, dans les rangs de la garde, un succès d’hilarité dont le sergent prussien fit les frais : en effet, avec une corde assez lâche pour lui permettre de marcher à petits pas, Jean lui avait fait attacher les chevilles, et tenait dans sa main l’extrémité de la longe ; de sorte que le malheureux sergent ne pouvait même pas essayer de fuir, car une simple secousse l’eut jeté à terre.

De plus, pour l’empêcher d’utiliser ses mains, Jean lui avait fait couper les boutons de la ceinture de sa culotte. Le prisonnier devait donc, tout en marchant, retenir à deux mains cette partie de son accoutrement, et cela lui donnait, vous le comprendrez, un air tout à fait risible.

Je vous recommande ce moyen-là, mes enfants, si plus tard vous avez des prisonniers à escorter.

Le paysan et le prisonnier furent confiés à deux chasseurs à cheval qui les attachèrent à leur selle, et Jean Cardignac rendit compte à l’Empereur du résultat de sa mission.

Il déchira la page de son carnet où il avait pris des notes et la remit à Napoléon, qui, l’ayant examinée :

  1. Rends-toi !… ou tu es mort !
  2. Pardon, monsieur le lieutenant… Vous êtes le maître… je me rends.
  3. Et toi !… apporte-moi une longe, une corde, une courroie quelconque ! puis attache-moi les deux pieds de ce gaillard-là !