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enjoignant au général Marmont, commandant au Texel, de préparer son matériel et ses attelages pour mettre son corps d’armée en marche.

Mais, en apercevant son chirurgien, il s’arrêta :

— Eh bien, Larrey, interrogea-t-il ; et mon petit lieutenant, que devient-il ?

— Il va mieux, sire !

— Ah ! bah ! Je ne l’aurais pas cru. Il m’avait semblé perdu.

— Sire, je le pensais aussi ; mais c’est une nature.

— Oui ! la guerre l’a rendu robuste… il m’en faudrait cent mille comme lui !… Et il guérira ?

Larrey eut un geste vague :

— Je ne puis en répondre, sire ? Mais aujourd’hui il ne m’est pas défendu d’espérer.

— Bien ! il faudra lui dire que l’Empereur pense à lui.

— Je n’y manquerai pas, sire !… Dès que le délire aura disparu.

— Ah ! il a le délire ?

— Oui, sire ! sans cesse il crie : « Aux armes ! Vive l’Empereur ! »

Napoléon eut un sourire attristé.

— Pauvre petit ! murmura-t-il.

— Puis, revenant brusquement à sa pensée première, il reprit l’ordre à Marmont au mot même où il l’avait laissé, et de nouveau le silence retomba, les plumes grincèrent.


Larrey avait dit vrai. La robuste constitution de Jean Tapin semblait devoir triompher du mal.

Pourtant la blessure était effroyable : l’éclat de bombe lui avait brisé la clavicule et le haut du bras, l’épaule était pour ainsi dire fracassée. Vous avez déjà dû vous imaginer, mes enfants, l’immense désespoir de la pauvre Lisette lorsqu’elle avait vu apporter son malheureux Jean dans cet état !

Bouleversée déjà par l’arrivée de Junot, ce fut bien pis encore quand elle vit, de ses yeux, son mari ensanglanté… presque mourant ! Pourtant la crise de larmes fut courte chez la jeune femme.

Sous un aspect frêle et gracieux, vous le savez déjà, Lise cachait une âme énergique.