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Cadoudal fut condamné à mort et exécuté. Pichegru se suicida. Moreau fut seulement exilé, par égards pour ses anciens services.

Ce dernier devait, hélas ! continuer à ternir sa gloire : c’est dans les rangs ennemis qu’il devait plus tard trouver la mort, tué par un boulet français.

Paris était tout entier sous le coup de l’émotion que ce dernier attentat contre le chef de l’État avait provoqué indistinctement dans toutes les classes, lorsqu’un soir, Belle-Rose et La Ramée, invités à dîner par Jean Cardignac, arrivèrent bras-dessus bras-dessous, en criant à tue-tête.

— Mon Dieu ! fit Lisette qui ne les avait jamais vus en cet état, grand-père, si sobre pourtant… Qu’ont-ils bu ?

Sur le seuil du jardinet, le géant lança en l’air son bonnet de police et La Ramée, prenant sa jambe de bois à pleines mains, se mit à danser sur un pied.

Tous deux étaient écarlates.

Jean Cardignac accourut et comme il ouvrait la bouche :

— Vive l’Empereur ! eh ! conscrit !… s’écria l’ancien tambour-maître.

— Empereur, lui !… dit le jeune officier qui comprit aussitôt.

— Oui, Em-pe-reur, répéta le géant en enflant ce mot magique. Empereur comme… comme…

Il cherchait, ne voulant pas comparer son Dieu à tous ces empereurs d’Autriche et de Russie, qu’il regardait comme de la poussière de souverains à côté du Grand Homme, et soudain, dans ses souvenirs clairsemés, le nom qu’il cherchait se précisa…

— Empereur comme… Charlemagne ! rugit-il, en faisant danser, d’un coup de poing sur la table, verres, assiettes et bouteilles.

Ce fut ainsi que Cardignac apprit l’un des plus grands événements de ce siècle qui commençait. Le Tribunat qui représentait alors à peu près ce qu’est chez nous la Chambre des Députés, avait pris, d’accord avec le Sénat, la détermination de rétablir la monarchie héréditaire, dans le but d’assurer la stabilité et d’augmenter la force du gouvernement de la France.

Le premier Consul Bonaparte venait d’être proclamé Empereur des Français sous le nom de

NAPOLÉON ier


et ce fut le 18 mai 1804 qu’eut lieu, au château de Saint-Cloud, l’imposante cérémonie de la proclamation officielle.