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Et Jean pénétra enfin dans « sa caserne », au milieu de « son régiment ».

En passant devant le poste, le sergent appela :

« Caporal Flambeau ! »

Celui-ci accourut.

« Voici un ordre de réquisition, avec les bons pour le citoyen payeur ; prends cinq hommes de corvée et va-t’en chez le citoyen Reversy, loueur de voitures, rue Saint-Antoine, à l’enseigne du Bon Luron. Tu prendras cinq charrettes à deux chevaux et tu les ramèneras ici… Au trot, marche ! »

Toujours suivi du petit Jean, le sergent se dirigea vers un grand bâtiment situé au fond de la cour.

Tout en marchant, le gamin ne perdait pas un coup d’œil, et examinait le mouvement qui régnait dans la cour du « quartier ». De tous côtés, des groupes, comprenant chacun une douzaine d’hommes nouvellement enrôlés, apprenaient le maniement du fusil, sous la direction de caporaux, de sergents, et sous la surveillance des officiers.

L’enfant, habitué à voir passer dans Paris des régiments pimpants aux uniformes coquets, tout bariolés de vives couleurs, éprouva un étonnement, presque une désillusion, à constater qu’en dehors de quelques anciens soldats, des sous-officiers et des officiers, la plupart des volontaires étaient habillés de façon disparate.

Beaucoup avaient encore leurs vêtements civils ; certains étaient revêtus de l’habit d’uniforme, avec leur culotte et leur chapeau d’avant l’incorporation ; quelques-uns portaient le pantalon droit blanc, à rayures, avec la guêtre blanche sur le soulier ; d’autres n’avaient pas de souliers, mais des sabots.

Au demeurant, même parmi les soldats entièrement équipés, les uniformes étaient dissemblables : les uns portant l’habit bleu des grenadiers, à parements rouges, et le grand chapeau bicorne ; les autres, l’habit vert et rouge des chasseurs de Louis XVI, avec le chapeau-casque rond, à visière cerclée de cuivre, et orné d’une « chenille » noire, en forme de cimier. Quant aux officiers, tous correctement habillés, il y en avait de tous les âges ; on voyait des capitaines presque imberbes et de vieux sous-lieutenants à moustaches grises.

C’est qu’une grande armée ne s’improvise pas du jour au lendemain. Il faut beaucoup d’argent et beaucoup de temps pour équiper ainsi des masses d’hommes. Or, à cette époque, l’argent était rare ; et le temps manquait, car on était pressé par l’ennemi. Il fallait, comme on dit, faire flèche de tout