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temps que deux larmes (ô bien douces aussi, mes enfants !) roulèrent de ses cils sur ses joues et tombèrent sur la neige.

Enfin après une longue minute de contemplation, il dit presque à voix haute :

« Merci ! Mon Dieu ! Oh ! je suis bien heureux…

« … Elles sont là !… Oh ! comme elle est jolie ma petite Lisette ! »

C’étaient bien, en effet, Catherine et Lison que notre ami venait d’apercevoir.

L’ancienne cantinière de la 9e demi-brigade était peu changée ; mais Lise, par exemple, l’était beaucoup !

C’était maintenant une jeune fille de vingt et un ans, grande, très élégante dans sa longue robe « à la Joséphine ». Sa taille mince était serrée dans un large ruban de soie moiré.

La lueur de la lampe éclairait en plein sa jolie tête aux beaux cheveux bouclés, toujours animée de la même expression mutine et gaie, mais avec une nuance de sérieux, de reposé qui lui donnait un charme de plus.

Elle travaillait, la belle petite Lison, avec sa maman Catherine.

Assise devant un bureau, penchée sur un gros livre à dos de parchemin, à coins ferrés, elle écrivait ce que lui dictait sa mère ; et tout au fond du magasin, rempli maintenant de ballots, de caisses et de tonnelets, un grand garçon d’une vingtaine d’années, porteur d’une tignasse d’un roux ardent, au nez retroussé, en tablier gris, maniait les paquets en appelant à haute voix.

Cela dura plusieurs minutes.

Jean regardait avidement, retenant presque son souffle, et insensible aux morsures de la bise qui lui soufflait au visage des tourbillons de neige.

Enfin le contrôle des marchandises fut terminé, et le jeune sergent entendit, à travers le vitrage, Catherine disant à l’employé :

— Grimbalet ! mon ami, vous veillerez à l’expédition dès la première heure. Et vous irez porter de suite la petite balle de café aux Tuileries. Vous la remettrez aux cuisines, au chef cuisinier du Premier Consul !

— Bien, madame.

— Surtout, ne vous arrêtez pas en route ! Ne causez à personne. Vous savez qu’en ce qui concerne le Premier Consul, on ne saurait être trop prudent par ce temps de conspirations.