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En mettant le pied sur le sol parisien, ses idées noires s’étaient subitement envolées.

— Non ! avait-il pensé ; c’est stupide de se laisser aller à une pareille tristesse que rien ne justifie !… Elles sont là… tout près… j’en suis sur maintenant, et je vais les embrasser !

Et il était parti joyeux.

Mais une autre idée venait de traverser son esprit :

— Elles ne m’attendent pas : elles auront peur si j’entre brusquement !… Lisette serait capable d’en être malade ! Comment faire pour les prévenir ?…

Ralentissant le pas, Jean Cardignac réfléchissait, tout en pénétrant dans la rue de la Huchette.

Soudain son visage se rembrunit et une anxiété passa dans son regard. La boutique de M. Sansonneau était changée !

Oui ! La maison avec sa tourelle en encorbellement était bien la même, mais l’écusson doré… disparu ! le cercle où pendaient les chandelles de bois, peintes en jaune… enlevé !

La façade elle-même, la vieille façade aux ouvertures étroites comme des créneaux, était transformée en une belle boiserie régulière, éclairée de grandes fenêtres à petits carreaux, maillés en plomb.

Enfin, ô stupeur ! à la lueur du réverbère, Jean, navré, put lire, sur le panneau d’enseigne, ces mots qui lui donnèrent la fièvre :


maison ci-devant tenue par
SANSONNEAU
Denrées coloniales — Café des Indes


Le petit sergent faillit se trouver mal ; ses jambes fléchissaient.

— Ils ne sont plus là… murmura-t-il. Mon Dieu ! mon Dieu ! Mais il se raidit.

« N’importe ! dit-il. Je veux savoir. »

Et, domptant son émotion, il s’avança.

Puis lorsqu’il fut tout près, lorsqu’il put, à travers les vitres, apercevoir l’intérieur du magasin qu’éclairait une grosse lampe, Jean Tapin devint tout pâle, et pourtant un sourire doux, très doux passa sur ses lèvres… en même