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Jean éprouva un véritable chagrin en apprenant la perte de ce beau bâtiment, et de suite il se demanda ce qu’était devenu son ami Haradec : il ne faisait pas partie de la flottille du Nil, car elle était à l’ancre au Caire ; et si Haradec eut été au Caire, Jean l’eût déjà rencontré ; il avait dû sauter avec l’Orient, et Tapin en fut mortellement attristé.

Mais bientôt les nouveautés de toutes sortes auxquelles il assista accaparèrent son attention. La première fut la solennité par laquelle les Égyptiens fêtent chaque année l’inondation du Nil. Elle fut célébrée en grande pompe au mois d’août.

L’armée entière y prit part, rangée en bataille, en grande tenue, sur les bords du fleuve, et Jean, placé sur la digue du canal du Prince des Fidèles, vit rompre, par le Cadi, le barrage qui retenait les eaux du Nil.

Bonaparte avait auprès de lui El-Bekry, descendant du Prophète. Des salves d’artillerie se mêlèrent aux cris d’allégresse des deux cent mille spectateurs qui les entouraient ; les places du Caire devinrent des lacs, certaines rues, des canaux, et le limon qui fait la richesse de l’Égypte, se répandit au loin dans la vallée.

En décembre, le fleuve rentra dans son lit : des milliers de fellahs couvrirent la terre de semences, et, en quelques semaines, des plaines fleuries, de riches moissons, des tapis verdoyants, offrirent un coup d’œil enchanteur.

Puis, ce fut la fête du Prophète ou Hégire : ce mot, mes enfants, signifie fuite. Il est destiné à rappeler la fuite de Mahomet, chassé de la Mecque par ses ennemis au début de ses prédications, et se réfugiant à Médine. C’est de ce jour que les musulmans font partir le commencement de leur année, qui est de douze jours plus courte que la nôtre, et Bonaparte qui, avec une suprême adresse, respectait les croyances et les traditions du peuple qu’il venait de soumettre, associa de nouveau l’armée à cette fête.

Les mois se passèrent : le Caire se francisait de jour en jour davantage. Un jour vint où la ville se révolta ; mais Bonaparte fit tout rentrer dans l’ordre à coups de canon, et la vie reprit tranquille et indolente pour le corps d’occupation de la Basse-Égypte, pendant que Desaix, poursuivant Mourad-Bey dans la Haute-Égypte, portait le drapeau français jusqu’aux ruines de Thèbes et à la cataracte de Syène. Jean avait eu une grosse déception : la prise d’Alexandrie, malgré les promesses de son colonel, ne lui avait apporté