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étaient victimes du mirage, phénomène optique que nul ne connaissait et que Monge expliqua en l’attribuant à la réfraction des rayons obliques dans un air surchauffé.

Ce jour-là, Jean Tapin éprouva de quel prix est l’affection des soldats pour le chef qui a su la gagner, car le placide Michu, le voyant accablé, prit son havre-sac, l’attacha au sien, et fit ainsi la route sans dire mot, pendant que Jean, allégé, redoublait d’efforts pour arriver.

Le soir enfin on atteignit le Nil, et la vue de ce fleuve béni transporta l’armée : soldats, officiers, généraux, tous s’y précipitèrent, buvant à longs traits. Des imprudents s’y noyèrent ; d’autres moururent dans d’atroces coliques, quelques heures après, pour avoir ingurgité une trop grande quantité d’eau.

Enfin, près du village de Chébreïs, apparurent des groupes de plus en plus importants de cavaliers, galopant au milieu de la poussière, et, de tous côtés, les aides de camps de Bonaparte coururent vers les divisions qui marchaient en échelons dans la plaine.

Le général Kléber ayant été, en raison de sa blessure, laissé à Alexandrie, la 9e demi-brigade avait été rattachée à la division du général Desaix.

« Formez le carré ! » commanda-t-il.

À peine ce mouvement qui consiste, comme vous le comprenez, à faire face de quatre côtés à la fois, était-il terminé, que l’une des masses de cavalerie ennemie arriva sur la division avec la rapidité de l’éclair.

Jean était au premier rang, auprès d’un canon qui occupait l’un des angles du carré-car, à cette époque, il y avait dans chaque bataillon un canon servi par les grenadiers. — Notre petit ami avait déjà vu, à Fleurus, des charges de cavalerie ; il en avait toujours été très impressionné, car il semble que rien ne doit résister au choc de ces masses, arrivant à pleine vitesse ; mais l’effet produit par les Mameluks, ainsi nommait-on ces hardis cavaliers qu’il voyait pour la première fois, était vraiment terrifiant.

Ils étaient magnifiquement vêtus : casques d’acier, cottes de mailles éblouissantes, larges ceintures d’argent, manteaux de soie voltigeant derrière eux ; leurs chevaux, caparaçonnés de velours et d’or, bondissaient, merveilleux de souplesse, jetant du feu par les naseaux.

Ils arrivaient dans un désordre fantastique, les mieux montés précédant les autres, brandissant leurs larges cimeterres, et convaincus, tant était